POLITIQUE & SOCIÉTÉ
Jacqueline Sauvage : de la grâce présidentielle à l’extension de la légitime défense
mardi 26 janvier 2016 14:03 par Marina Fabre Laisser un commentaire
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Procès de Jacqueline Sauvage, croquis d'Eléonore Dougnac
Procès de Jacqueline Sauvage, croquis d’Eléonore Dougnac
Jacqueline Sauvage a écopé de 10 ans de prison pour le meurtre de son mari violent et violeur. Alors que l’appel à une grâce présidentielle ne cesse de prendre de l’ampleur, celui pour une extension de la légitime défense pour les femmes battues le rejoint désormais, soutenu par plusieurs personnalités.
« Libérez Jacqueline Sauvage ! » Ce cri de soutien à la une du quotidien Libération le 23 décembre dernier ne cesse de trouver de l’écho parmi les personnalités médiatiques et politiques. En septembre 2012, Jacqueline Sauvage, alors âgée de 66 ans, avait tué son mari de trois coups de fusils dans le dos, mettant fin à un calvaire de 47 ans. Son fils s’était suicidé la veille du meurtre. Battue, violée – comme l’auraient également été ses filles – Jacqueline Sauvage a écopé d’une lourde peine de 10 ans de prison en décembre dernier.
Depuis sa condamnation, la mobilisation pour réclamer sa libération ne cesse de grandir. D’abord sous la forme d’une pétition réclamant une grâce présidentielle. Le 11 décembre, elle comptait déjà 80 000 signataires, un mois et demi plus tard elle monte à près de 350 000. « Comment personne n’a t-il pu voir ce que vivait cette famille, les voisins, les services sociaux, l’école … C’est le silence et l’immobilisme de toutes les instances qui composent notre société qui sont coupables de non-assistance à personnes en danger, qui n’a pu qu’aboutir à cette fin », écrit Karine Plassard, membre d’Osez le féminisme et auteure de la pétition. « Alors, Monsieur le Président, au nom de toutes ces victimes, femmes et enfants, vous ne pouvez pas laisser madame Sauvage purger une peine de 10 ans ferme. Accordez lui, comme vous en avez le droit et ici le devoir, votre grâce présidentielle ».
Samedi 23 janvier entre 100 et 200 manifestant.e.s s’étaient réunis devant l’Opéra Bastille à Paris. Parmi eux des personnalités médiatiques comme l’actrice Annie Duperey. « Certes, elle a tué, il ne s’agit pas d’un acquittement, il s’agit, au regard de ce qu’elle a souffert, d’en prendre compte et de se dire que c’est complètement injuste de l’enfermer dix ans de plus après tout ça », plaidait-elle au micro de l’AFP.
Les femmes et hommes politiques eux aussi ont fait entendre leur voix. Dimanche 24 janvier c’est Anne Hidalgo, maire de Paris, au micro du Grand Jury de RTL, qui prenait parti : « Je soutiens pleinement Jacqueline Sauvage. Je suis bien sûr prête à m’engager aux côtés de ses soutiens». Le même jour, c’est Jean-Christophe Cambadélis, premier Secrétaire du Parti Socialiste qui tweetait :
A droite c’était au tour de la présidente de la région Ile-de-France, au matin du 26 janvier :
De la grâce présidentielle à la révision de la loi sur la légitime défense
Lundi 25 janvier, dans un communiqué transmis à l’AFP, les personnalités politiques et médiatiques qui soutiennent Jacqueline Sauvage ont annoncé s’être organisées en comité de soutien. Aux noms déjà cités – hormis celui de Valérie Pécresse qui ne s’était pas encore prononcée – s’ajoutent notamment ceux de Daniel Cohn-Bendit et Jean-Luc Mélenchon ou encore de la productrice Fabienne Servan-Schreiber. Ils réclament la « libération immédiate » sous forme de grâce présidentielle, mais également une « révision de la loi sur la légitime défense » car Jacqueline Sauvage « a été injustement condamnée à cause d’un vide juridique rétrograde ne considérant pas que la légitime défense puisse s’appliquer sur une vie entière ».
Interrogées par Les Nouvelles NEWS, les avocates de Jacqueline Sauvage réclamaient déjà lors du procès de « repousser les limites de la légitime défense appliquées aux situations de violences conjugales ». Concrètement, qu’est-ce-que cela signifie ? « Cela signifie prendre la mesure de ce que la définition actuelle de la légitime défense est trop restrictive, archaïque et non adaptée au contexte des homicides conjugaux », nous répondaient maîtres Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta.
Aujourd’hui, l’article 122-5 du Code pénal, relatif à la légitime défense est clair : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
Or, Jacqueline Sauvage a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos. « La légitime défense n’est pas soutenable » ici, avait souligné Frédéric Chevallier, l’avocat général. D’un point de vue purement physique, Jacqueline Sauvage n’était pas en position de légitime défense au moment de l’action. Mais ce qu’espéraient les avocates, c’est que les jurés prennent en compte l’état permanent de stress de Jacqueline Sauvage, « le syndrome de la femme battue ».
Au Canada par exemple, grâce à l’article 34.2 du Code criminel, une femme battue n’est pas systématiquement jugée en état de légitime défense mais la loi laisse une marge d’interprétation de la part des jurés qui pourront faire appel à la notion de légitime défense, s’ils le jugent nécessaire.
« Je plaide la prudence en faveur de la présomption de légitime défense ou l’amélioration des conditions de la légitime défense, car le climat politique actuel me paraît peu propice »
En France, en 2012, l’avocat général Luc Frémiot avait obtenu l’acquittement d’Alexandra Guillemin. Cette femme battue, menacée de mort à plusieurs reprises, avait tué son mari d’un coup de couteau dans la gorge alors qu’il tentait de l’étrangler. Beaucoup comparent ce cas à celui de Jacqueline Sauvage. Pourtant il existe une différence de taille aux yeux de la loi : le mari d’Alexandra Guillemin tentait physiquement de la tuer en l’étranglant au moment de l’acte. Elle était donc, légalement, en état de légitime défense.
Luc Frémiot lui-même, qui avait brillamment défendu Alexandra Guillemin lors du procès, s’est opposé l’année dernière à l’extension de la légitime défense pour les femmes battues, devant la Délégation aux Droits des femmes à l’Assemblée nationale : « Certaines dérives m’inquiètent, notamment la revendication par certaines associations et avocats d’une présomption de légitime défense en ce qui concerne les femmes. Une femme qui tue son mari n’agit pas nécessairement dans un cadre de légitime défense. Or, admettre cette présomption implique que la charge de la preuve revient au Parquet. N’oublions pas que, à l’origine, la légitime défense était une présomption. Ce principe a été remis en cause à la suite d’une affaire judiciaire. Restaurer une présomption de légitime défense au profit des femmes serait le pire service qu’on puisse leur rendre. »
Et il n’est pas le seul à se montrer dubitatif sur l’extension de la légitime défense. La délégation des Droits des femmes mène actuellement une série d’auditions sur la questions. Ernestine Ronai, coprésidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Egalité femmes/hommes, y a également fait part de ses réticences. « Je plaide la prudence en faveur de la présomption de légitime défense ou l’amélioration des conditions de la légitime défense, car le climat politique actuel me paraît peu propice », a t-elle souligné.
Ici, Ernestine Ronai préconise plutôt « la formation de l’ensemble des magistrats sur les violences faites aux femmes : cela existe en formation initiale mais pas en formation continue ». Elle se souvient : « Les questions qui ont été posées à Mme Sauvage sont caractéristiques de cette situation : « Pourquoi n’êtes-vous pas partie ? », « Pourquoi n’avez-vous pas porté plainte ? » Jacqueline Sauvage avait fait une tentative de suicide – ce qui est caractéristique du psychotrauma – mais cela n’a pas été porté au dossier. La question de la formation des médecins est aussi posée, car l’intéressée s’était rendue au service des urgences à quatre reprises : un dispositif permettant de regrouper ces passages aurait permis de détecter une situation critique, ce qui est le minimum exigible ».
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