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Le blog de hugo,

Ces femmes hétéros qui font le choix de l’abstinence sexuelle pour se retrouver

3 Février 2024, 00:50am

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 Ces femmes hétéros qui font le choix de l’abstinence sexuelle pour se retrouver

© Getty Images

hier à 08:00

Temps de lecture6 min
Par Maïna Boutmin

Tipik
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La sexualité devrait être l’espace de tous les plaisirs, la jouissance y serait transcendante pour les deux genres. En tout cas, sur le papier. Dans la réalité, les femmes qui s’adonnent à des rapports sexuels avec le sexe opposé témoignent parfois d’une insatisfaction, comme le montre d’ailleurs l’orgasm gap ou fossé orgasmique : dans les couples hétérosexuels, 65% des femmes atteignent l’orgasme, contre 95% des hommes d’après certains chiffres. Bien que la pénétration vaginale seule ne permet qu’à 25% des femmes d’atteindre l’orgasme, elle reste souvent considérée comme centrale aux rapports, entraînant de nombreuses frustrations. Les femmes qui souhaitent explorer différents plaisirs et partenaires souffrent parfois d’une mauvaise presse qui les empêche d’en jouir pleinement. On constate qu'avoir une sexualité libérée n’est pas encore tout à fait normalisé pour la gent féminine. En parallèle, le couple reste un objectif à atteindre pour de nombreuses personnes qui continuent d’investir leur vie sentimentale et sexuelle sans pour autant toujours en tirer du plaisir. Face à ces nombreuses normes, certaines femmes décident de se détourner de la sexualité pour se recentrer et repenser leur rapport à elle-même et aux autres.

Une lassitude qui s’installe
C’est le cas de Marie, qui raconte : "J’ai cette angoisse permanente de finir ma vie seule. Je me mettais dans des relations plus par nécessité que par choix, elles ne me correspondaient pas mais je continuais pour apaiser cette peur. Je me suis dit que c’était le moment d’apprendre à être seule". Cette décision naît après la lecture du livre "La chair est triste, hélas" : "La plupart du temps, le mec ne m’intéressait pas plus que ça, souvent il voulait un "plan cul" et pas moi, alors que ce n’était pas l’amour fou, pas l’amour du tout en fait. Deux semaines après la lecture du livre, j’ai pris cette décision." Depuis 6 mois, la jeune femme de 27 ans a choisi de s’abstenir de tout rapport sexuel pendant au moins un an. Une abstinence qui ne se contente pas de cesser tout rapport mais qui lui interdit également drague, rendez-vous galants ou embrassades avec le sexe opposé.

Le livre auquel Marie fait référence est celui d’Ovidie, écrivaine et réalisatrice de films pornos féministes. L’autrice raconte le cheminement qui l’a mené à l’écriture de ce livre : "Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant 'Demain, j’arrête' comme on peut le faire pour la clope ou l’alcool. D’ailleurs, je ne me définis pas comme abstinente parce que ça parle d’une privation, or je ne me prive de rien. Il n’y a pas eu de manque, pas eu de frustration : il y a eu un désintérêt qui s’est transformé en dégoût progressif." D’ailleurs, les premiers mois, Ovidie n’en pense pas grand-chose, mais au bout d’un an, elle prend surtout la décision volontaire de ne pas y retourner.

Pour Delphine, 38 ans, membre de la communauté Wellnest, le choix de se détourner un temps de la sexualité n’est pas né d’une insatisfaction. Elle pense que les rapports à deux peuvent être un vrai plaisir. Seulement, peu de temps après sa séparation avec le père de ses enfants, elle réalise qu’elle a un peu perdu l’intérêt pour la chose et qu'elle voudrait investir son temps surtout pour elle : "J’ai compris que dans ma vie je n’avais jamais pris le temps de me donner de la place à moi." Elle lit aussi un livre qui appuie cette décision "Réinventer l’amour", de Mona Chollet : "J’ai réalisé comme nos relations aux hommes sont teintées par la sexualité ou en tout cas par la recherche d’amour ou d’un compagnon. Je voulais déconstruire ça chez moi, me poser dans mon énergie personnelle et cela signifiait ne plus avoir de sexualité mais aussi ne plus embrasser, ne pas aller boire un verre et ne plus draguer."

Femmes objets ?
Une décision qui entraîne de nombreuses réflexions sur sa manière de fonctionner : "En tant que femme, on nous apprend à sourire, à minauder, à faire la mignonnette pour qu’on nous aide à aller chercher quelque chose sur l’étagère du Delhaize, c’est plus subtil encore que de la drague." Un modèle dont il n’est pas forcément aisé de se débarrasser du jour au lendemain, et qui demande de réajuster toute une série de comportements comme le raconte Ovidie : "La question, ce n’est pas 'J’arrête le coït vaginal' ou une sortie de la sexualité uniquement en tant qu’acte sexuel, mais bien une sortie de cette injonction à séduire, une sortie de l’intérêt de la relation amoureuse et de faire couple, plutôt une valorisation de la "sologamie" et d’autres formes de relations. Quand on est une femme, l’amour est l’alpha et l’oméga de notre épanouissement personnel. Quand on sort de ça, on développe d’autres formes d’amour et on se libère de l’injonction à minauder en achetant un croissant. Malgré tout, il y a des automatismes qui restent, c’est très ancré en nous."

Les deux femmes abordent notamment le travail important fourni pour se sentir belles et désirables : "Tous les efforts qu’il faut fournir pour avoir un rapport qui peut certes être agréable mais – il faut être honnête - est aussi souvent médiocre, eh bien on se dit que l’investissement ne vaut pas l’acte", regrette Ovidie. "Quand on sort du jeu on se rend compte que beaucoup de nos actions sont tournées vers le regard des hommes. C’est un travail que d’être une femme et de rester désirable, la façon dont on va s’habiller, se mouvoir, les codes qu’on va adopter, le régime, le string qui nous rentre dans la raie du cul… C’est un boulot à temps plein de s’entretenir pour rester désirable." Une vision que corrobore Delphine qui a profité de son abstinence pour cesser de s’épiler complètement et découvrir son corps au naturel.

Pas question pour autant de juger celles qui passent trois heures à s’apprêter dans la salle de bains ou qui traquent les calories dans leur assiette, estime Ovidie : "Je ne suis pas en critique des femmes qui tirent un capital de leur beauté, je critique les hommes qui instaurent ce système. Chacune fait ce qu’elle peut, on sait qu’une femme qui fait du 38 a plus de chance de se faire embaucher qu’une femme qui fait 44, ça fait partie des choses qu’il faut déconstruire."

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Une grève du sexe pour quels résultats ?
Etrangement, Ovidie constate que ce changement intime a finalement joué un rôle important sur sa vie sociale : "Même s’il n’y a pas de passage à l’acte, pour l’homme, il y a toujours comme une forme de promesse symbolique de coït, un désir de les posséder toutes et donc quand cela devient limpide que ça n’arrivera pas, chez certains, il y a un désintérêt immédiat. Ne pas se rendre disponible écrème un certain nombre de relations." Une manière de mieux faire le tri : "L’arrêt de la sexualité a renforcé l’amitié que j’avais avec certains hommes. On fait moins peur aux épouses, ça casse la compétition intra sexuelle. Nous avons été éduquées à être en concurrence et quand cette rivalité s’estompe, on crée des relations beaucoup plus sincères, c’est vraiment cool." Delphine confirme avoir ressenti un effet similaire : "Je trouve qu’on crée des meilleures relations sans minauder, on attire aussi plus de chouettes personnes, parce que le gars qui cherche juste à tirer son coup ne va peut-être pas s’approcher."

Pour Marie, l’abstinence lui a surtout permis de se remettre au centre : "Je fais beaucoup plus d’activités, je me force moins à sortir, je fais plus attention à ce que j’ai envie de faire plutôt que ce qu’on attend de moi." Des fruits également récoltés par Ovidie : "Je n’ai jamais fait autant de choses depuis que je ne baise plus. Quand on me demande comment je fais tout ça, je réponds 'Ben je ne baise pas'. J’ai pu soutenir ma thèse, faire une série de fictions, un documentaire, sortir plusieurs livres, j’ai jamais autant accompli depuis que je ne baise plus, parce que tout ce temps et cet espace mental gagné j’ai pu l’investir ailleurs."

Delphine quant à elle raconte comment au bout de six mois, elle est finalement retournée dans les bras d’un homme : "Je voulais faire un an mais le printemps m’a rattrapé et j’étais ok d’arrêter. Je me sens beaucoup plus ancrée dans ma vie grâce à ce retour à moi. J’ai rencontré quelqu’un avec qui je suis restée plusieurs mois et je continuais à en ressentir les effets positifs : je n’ai pas tout donné dans la relation, je ne me croyais pas dans un conte de fées où la femme doit être absolument avec un homme. J’ai appris à profiter de l’instant, sans mille et unes injonctions. J’ai recommencé à m’épiler, mais je suis beaucoup plus cool qu’avant, je me promène beaucoup plus souvent sans maquillage, j’ai arrêté de demander si telle chose est sexy ou pas. Oui, le sexe est une des choses sympas de la vie mais ce n’est pas toute la vie."

Marie a également rencontré quelqu’un mais elle s'est rendu compte qu'elle retombait dans de vieux travers et envisage de reprendre son abstinence. Pas question pour Ovidie d’y retourner pour le moment : "La société est en train de changer, la génération de ma fille va mieux s’en sortir, je pense qu’il y a plein de mecs plus jeunes qui sont moins navrants. Dans ma génération, c’est plus compliqué, parce que déjà c’est du travail de faire de la pédagogie mais en plus pourquoi est ce qu’ils changeraient ? C’est trop tard. Malgré tout, je pense que les choses sont en train de bouger, de se rééquilibrer pour aller vers des formes de sexualités libérées de la domination. Depuis que j’ai sorti ce livre, j’ai reçu énormément de messages de femmes en grève du sexe ou en abstinence, et ça va de 18 à 80 ans, il y a un truc dans l’air."


https://www.rtbf.be/article/ces-femmes-heteros-qui-font-le-choix-de-labstinence-sexuelle-pour-se-retrouver-11310686

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