Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de hugo,

In Valentina Lucania We Trust, lutter contre les discriminations dans le secteur de la construction

17 FĂ©vrier 2024, 05:59am

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 In Valentina Lucania We Trust, lutter contre les discriminations dans le secteur de la construction

© Tous droits réservés

10 févr. 2024 à 12:08

Temps de lecture6 min
Par Jehanne Bergé pour Les Grenades
PARTAGER

Écouter l'article
Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Dans cet épisode, nous retrouvons Valentina Lucania, initiatrice de L Trans Form, une association qui promeut la mise en place de chantiers participatifs à destination de personnes minorisées par la société.

33 rue Dony, Liège. En arrière-cour, un vaste bâtiment géré par le Comptoir des Ressources Créatives. Ici, une multitude d’artisan·es se partagent les lieux et les outils. À l’étage, un grand atelier. "Là, c’est une panneauteuse pour couper les panneaux, ça, c’est une dégauchisseuse et derrière, il y a une raboteuse", lance Valentina Lucania (que tout le monde appelle Val’) en nous faisant la visite.

C’est au cœur de cette fourmilière que cette pro de la construction qui vit à 100 à l’heure a installé l’association L Trans Form qu’elle a initiée il y a quelques années.

Mais pour l’heure, le travail attendra. Entre deux chantiers et une restauration de portes endommagées par les inondations, elle prend le temps de confier aux Grenades son parcours tissé de résilience et de combativité.

â–şâ–şâ–ş Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe


© Tous droits réservés
"Les filles doivent servir"
Valentina Lucania voit le jour dans un village de Sicile en 1984. "Je suis la quatrième fille de la lignée tandis que mon père rêvait d’un garçon. Nous sommes arrivé·es en Belgique en 1990 en quête de meilleures conditions de vie ; les débuts ont été très précaires." La famille s’installe à Liège.

Cet exil impacte fortement Valentina, qui n’est alors encore qu’une enfant. Elle grandit en recevant une éducation très genrée. Elle garde son intérêt pour le foot et son esprit bagarreur pour les secrets de la cour de récré, tandis qu’à la maison, avec ses sœurs, elle est sommée de bien se tenir et d’être aux petits oignons pour son père. "Il était très sévère et répétait souvent ‘j’ai fait des filles, des fourchettes et elles doivent servir’ !"

Malgré ces rapports complexes, la jeune fille cherche à tisser des liens avec lui en le suivant partout dans ses travaux de construction et de mécanique. "Je lui passais les outils. Plus tard, mon petit frère est né, mais pendant longtemps, je crois que d’une certaine manière j’ai voulu incarner le fils qu’il rêvait d’avoir. Il m’appelait d’ailleurs ‘mon petit lion’."

C’est comme ça que depuis sa place "d’acolyte", au fil du temps, elle observe les gestes de son père dans le garage, sur les chantiers et tente de retenir dans son corps et son cœur son savoir-faire.

Pas de femmes en mécanique !
En secondaire, ses parents l’inscrivent en section professionnelle. Face aux choix d’options, l’adolescente se décide pour la mécanique, on lui refuse sous prétexte que "la mécanique, c’est pour les hommes". "J’ai alors proposé d’étudier l’électricité, mais mon père a répondu ‘non, couture' !"

Valentina Lucania se retrouve donc en couture, avant de pouvoir changer et de se diriger vers le cursus d’aide-soignante. Elle s’épanouit dans cette nouvelle formation, jusqu’à ce qu’au cours d’un stage en maison de repos, elle prenne conscience des violences dues au manque de moyens alloués aux soins. "Les effectifs étaient beaucoup trop réduits par rapport au nombre de personnes. Je me faisais réprimander par les chef·fes si je prenais un moment pour discuter avec les gens. On n’avait pas assez de temps pour réaliser les toilettes correctement et ça pouvait entraîner de la maltraitance. Il m’était impossible de travailler dans ces conditions. J’ai décidé d’arrêter mes études et de quitter le secteur."

À lire aussi
In Kate Houben We Trust : soigner les morts, accompagner les vivants

Les chantiers pour se relever
Alors qu’elle est en plein questionnement quant à son futur professionnel, en 2005, en apprenant son homosexualité, son père la met à la porte. "Pendant trois ans, j’ai vécu de petits boulots à gauche à droite. Je me débrouillais, mais j’étais franchement précaire et sans horizon d’avenir."

Elle retape un camion avec sa compagne, et elles prennent la route direction le sud de la France. "On a débarqué dans une ferme collective. Je suis devenue éleveuse de poules et maraîchère." Après cette période de calme, le couple se sépare. "Cette rupture a été difficile. J’avais besoin de soins médicaux, je suis rentrée en Belgique, mais je n’étais plus du tout en ordre administrativement. Ça a été une galère pas possible pour récupérer mes droits, parce qu’en plus je n’ai pas la nationalité belge, je suis italienne…"

Après cette période de troubles, mais encore dans une situation fragile, elle est embauchée pour des petits contrats. "C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que ma voie c’était le bâtiment. J’ai été prise sur des chantiers où j’appliquais ce que j’avais intégré plus jeune en observant mon père. Un jour, un homme de métier, Albert Thomas a vu comment je bossais et m’a proposé de venir travailler avec lui. Pendant deux ans et demi, il a vraiment été un père de chantier ! Il m’a appris les techniques, m’a encouragée à m’autonomiser et à acheter mes propres outils."


© Tous droits réservés
T’es capable, t’es certaine ?
Si elle trouve sa place dans le secteur de la construction, Valentina Lucania est néanmoins victime de sexisme, et ce au quotidien. "C’était la folie ! Quand je débarquais, on me disait ‘vous, si petite ?’. Ou des mecs me regardaient faire, en me répétant ‘T’es certaine que tu vas y arriver ?’.  Aussi, les client·es s’adressaient souvent à mes collègues hommes plutôt qu’à moi, alors même que j’étais plus expérimentée."

â–şâ–şâ–ş Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

Un jour, elle entend parler d’un chantier participatif en mixité choisie en France et décide d’y prendre part. "Dès le début, je me suis sentie complètement déstabilisée : personne ne me regardait travailler, personne n’était derrière moi pour remettre en question mes compétences et pourtant nous étions soixante ! Il y avait aussi des espaces pour réfléchir ensemble, échanger."

Après ces deux semaines qui lui offrent une autre vision sur le secteur, retourner sur chantier en tant que seule femme au milieu de dizaines d’hommes lui fait l’effet d’une claque. "Directement, ils ont à nouveau mis mes compétences en doute. Les discriminations dans le bâtiment ont véritablement commencé à me peser."


© Tous droits réservés
À lire aussi
In Célia Torrens We Trust : "Il faut arrêter de faire croire aux femmes qu’elles sont des petites choses fragiles"

L Trans Form, la force du collectif et de l’inclusion
Petit à petit germe en elle l’idée de créer une association pour permettre plus d’inclusion dans le secteur de la construction. "Pour les femmes et les personnes trans, c’est super compliqué de se faire engager dans des équipes. Et sans accès au terrain, impossible d’apprendre, or le secteur est porteur et en pénurie de main-d’œuvre. Je voulais combattre les discriminations ; j’ai rassemblé des ami·es queers et nous avons réfléchi ensemble."

Les discriminations dans le bâtiment ont véritablement commencé à me peser

En 2019, L Trans Form naît et des partenariats sont créés avec différentes associations. L’objectif du projet ? Mettre en place des chantiers participatifs, safe, inclusifs, pour permettre à qui le souhaite de s’essayer au métier de la construction. "On veille à ce que personne ne retire les outils des mains d’une autre personne", souligne Valentina Lucania. "On a à cœur d’expliquer au maximum le fonctionnement des choses. On tente également de veiller à ce que chacun·e se sente inclus·e et qu’il n’y ait pas de blagues graveleuses."

Récemment, L Trans Form a notamment géré le chantier des Grands Carmes, l’espace pluridisciplinaire LGBTQIA +. "Nous avons aussi travaillé avec le Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion ou le Fondation Ihsane Jarfi qui lutte contre l’homophobie. On collabore également régulièrement avec la coopérative immobilière à finalité sociale Les Tournières."

Autant de lieux où le choix de faire appel à L Trans Form se révèle un acte éthique et politique. "L Trans Form m’a fait grandir, sa vocation collective me porte. Il y a eu des périodes fragiles dans mon parcours, mais je suis contente de moi. L’association me donne confiance pour construire d’autres projets…. Mais ça, ce sera pour une autre histoire…", souffle-t-elle.

Dans le reste de la série In We Trust
In Laura De Pauw We Trust, "en tant que femme mécano, je dois constamment prouver ma légitimité
In Madeleine Dembour We Trust, changer de vie à 55 ans pour devenir mécanicienne vélo
In Sandrine Kelecom We Trust, "en tant que femme dans le bâtiment je dois en faire deux fois plus"
In Odile Gérard We Trust, la chauffagiste qui dézingue les stéréotypes
In Véronique Wouters We Trust, cheffe féministe d’une entreprise de menuiserie
In Chantal-Iris Mukeshimana We Trust, la cyclodanse comme renaissance
Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


https://www.rtbf.be/article/in-valentina-lucania-we-trust-lutter-contre-les-discriminations-dans-le-secteur-de-la-construction-11326558
 

Commenter cet article