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Vers une définition commune du viol en Europe ?

16 Octobre 2023, 22:39pm

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

Vers une définition commune du viol en Europe ?

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11 oct. 2023 à 13:06

8 min
Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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La toute première législation européenne visant à lutter contre les violences faites aux femmes fait l’objet de rudes négociations en ce moment entre les différentes instances de l’Europe.

A l’intérieur du Conseil européen, plusieurs Etats-membres, dont la France, ont décidé de retirer un point du texte, prévoyant une définition commune du viol et considéré comme majeur par des associations de terrain. La Belgique, le Luxembourg, l’Italie et la Grèce, favorables à cette définition commune, ont réagi en regrettant officiellement ce " manque d’ambition politique ".

Au niveau européen, une directive est un projet de loi qui doit être transposé en droit national par l’ensemble des Etats-membres de l’Union européenne s’il est adopté. Le 8 mars 2022, lors de la Journée internationale de lutte pour les droits de femmes, c’est précisément via une directive que la Commission européenne a proposé d’harmoniser les définitions de plusieurs types de violences faites aux femmes, par exemple les mutilations génitales féminines ou encore les cyberviolences.

Il est également prévu d’harmoniser les sanctions : la directive comporte un volet pénal afin de criminaliser ces violences, et un volet portant sur l’accompagnement et la protection des victimes.

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"Un geste très fort"
"Pour nous, c’est un geste très fort de la Commission européenne de proposer une définition commune de certaines violences. La directive initiale a par la suite encore été renforcée par le Parlement européen. C’est important pour le viol en particulier car 11 Etats-membres ont encore une définition du viol basée sur l’emploi de la force. Les femmes dans ces pays doivent prouver qu’elles ont été contraintes et qu’elles ont résisté. Le droit international, et notamment la Cour européenne des droits humains, s’opposent à ce type de définition, qui repose sur une ancienne vision des violences sexuelles", résume pour Les Grenades Irene Rosales, chargée des politiques et des campagnes au sein du bureau bruxellois du Lobby européen des femmes.

"C’est le cas en France ou en Italie. Si le consentement est cité, l’emploi de la force reste l’élément principal de ce qui constitue un viol dans ces pays. La Lituanie va encore plus loin : elle ne reconnait même pas le viol conjugal. D’où la nécessité de cette définition commune", continue-t-elle.

Encore une fois, les droits des femmes sont un champ de bataille politique. Nos droits ne sont pas négociables !

"Certains Etats-membres estiment qu’il n’existe pas de base juridique suffisante pour adopter une définition commune et défendent le fait de conserver des définitions nationales, notamment la France, la Pologne, la Hongrie, la Suède et les Pays-Bas, précise Saskia Bricmont, eurodéputée belge du groupe Les Verts/ALE qui suit de près les négociations autour de cette directive. "Il n’y a pas d’unanimité au sein du Conseil car des pays comme la Belgique, et je m’en réjouis, ou l’Espagne soutiennent cette définition commune. Nous y tenons mordicus car nous souhaitons aller encore un cran plus loin : nous voulons que les violences de genre soient incluses parmi les eurocrimes, tout comme l’écocide. Ce sont des crimes cités à l’article 83 (1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui sont considérés comme particulièrement graves et ayant une dimension transfrontalière. Ce qui signifie qu’Europol pourrait être impliqué dans les enquêtes. Pour cela, nous avons besoin d’une définition commune, c’est un premier pas très important." Parmi ces eurocrimes, on retrouve pour l’instant la corruption ou encore le terrorisme.

"Ancrer cette définition commune dans le Traité permettrait de s’assurer qu’elle tienne dans la durée, car une directive est comme une loi : s’il existe une volonté politique, on peut toujours la modifier. C’est plus difficile avec le Traité !", souligne l’eurodéputée.

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Une définition basée sur le consentement
En Belgique, lors de la réforme du Code pénal en 2022, le consentement positif est devenu central dans la définition du viol, c’est-à-dire que la personne doit exprimer de manière explicite son envie d’avoir une relation sexuelle et qu’elle doit être consciente de l’implication que son consentement entraîne. "Un manque de résistance ne signifie pas que la personne accepte la relation ou le rapport sexuel. En effet, la peur et l’effet de sidération paralysent beaucoup de victimes de violences sexuelles. Désormais, une absence de réaction ne suffira plus pour justifier un acte sexuel consenti devant un juge", observe l’association Infor Jeunes. Par ailleurs, ce consentement peut être retiré à n’importe quel moment lors de la relation sexuelle.

11 Etats-membres ont encore une définition du viol basée sur l’emploi de la force

"Qu’est-ce que cela change ? Dans les pays où la définition se base sur le consentement, les victimes sont beaucoup plus protégées et il est plus facile de porter plainte. Cela permet aussi de lutter contre les stéréotypes qui entourent les violences sexuelles…", analyse Irene Rosales.

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Témoignage d’une victime
Interrogée par le Lobby européen des femmes, Marta Asensio témoigne : "Mon cas ne correspond pas à tous les mythes qui entourent le viol : il m’est arrivé alors que j’étais chez moi, dans mon lit, je portais ce que toute personne porte pour dormir la nuit, et il m’a été infligé par quelqu’un en qui j’avais confiance et avec qui je vivais. Cela arrive à de nombreuses femmes dans l’Union européenne, tous les jours, toutes les heures, dans tous les pays."

Elle continue : "Mon ex-compagnon m’a administré des drogues pour me violer pendant la nuit. Lorsqu’il m’a violée, je ne pouvais ni dire oui ni dire non car ma capacité à exprimer ma volonté était annulée. J’étais inconsciente. Non seulement le non signifie non, mais l’absence de oui signifie également non. Il n’a pas eu besoin d’utiliser la force pour me violer et je n’avais pas d’ecchymoses ni de marques puisque mon corps était complètement inerte. […] Comme beaucoup de femmes qui ont été confrontées à des viols chimiques, je n’ai pas reçu les soins spécialisés nécessaires et je n’ai pas obtenu justice et réparation."

A propos des négociations en cours au niveau européen, elle explique : "Je considère qu’il est essentiel que les lois prennent en compte ces situations et offrent une protection adéquate à toutes les femmes. Quelle que soit la ville ou le pays où elles se trouvent. […] Une personne endormie, droguée, ivre, inconsciente ou morte ne peut pas consentir ou vouloir avoir des relations sexuelles. J’espère que les décideurs européens seront à la hauteur de la tâche, qu’ils comprendront que la violence sexuelle est un fléau auquel sont confrontées les femmes dans tous les pays de l’Union et qu’ils adopteront une directive ambitieuse qui criminalise les relations sexuelles non consenties."

Irene Rosales reprend : "Les femmes devraient pouvoir avoir confiance dans le système judiciaire, se sentir entendues et obtenir réparation pour ces violences qui affectent leur vie. La directive spécifie aussi qu’il faut des services spécialisés pour recevoir les femmes victimes de ces violences. Une fois ces services créés, il faut qu’ils soient accessibles à toutes."

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Et la prévention ?
Pour l’experte, "les modifications demandées par certains Etats-membres relèvent d’une vision neutre des violences, et visent à amoindrir la portée de la directive. Il faut rappeler que la structure patriarcale se trouve partout en Europe et affecte les femmes en premier. Outre la définition du viol, d’autres aspects importants dans la directive sont critiqués par des Etats-membres, par exemple la prévention contre ces violences via l’éducation sexuelle féministe, ce qu’on appelle l’EVRAS en Belgique. C’est grave, notamment car les jeunes ont accès à du contenu pornographique violent en ligne."

Lorsqu’il m’a violée, je ne pouvais ni dire oui ni dire non car ma capacité à exprimer ma volonté était annulée. J’étais inconsciente

En France, le Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes (HCE) a en effet montré que 90% des vidéos pornographiques présentaient des actes de violences physiques, verbales et sexuelles et que les femmes en étaient les principales victimes. Une récente enquête Ifop a démontré qu’une Française sur deux a déjà dû subir des pratiques sexuelles issues des films pornographies contre son gré. 20% des personnes interrogées estiment que "même si elles ne le disent pas, beaucoup de femmes prennent du plaisir à avoir mal lors d’un rapport sexuel". 16% des hommes interrogés pensent qu’un "non" veut quand même dire "oui".

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"Sur la question des cyberviolences, des Etats-membres souhaitent aussi limiter le type d’actions et de comportements qui en feraient partie. Ils voudraient par exemple que la cyberviolence soit uniquement caractérisée par l’aspect public des actes. Quand on sait que beaucoup de femmes se font violenter par WhatsApp ou sur d’autres messageries privées…", regrette Irene Rosales.

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Saskia Bricmont indique : "Il y a en effet d’autres points de divergences entre les Etats-membres. La Pologne par exemple ne veut pas que l’on différencie genre et sexe. Sur les cyberviolences, certains Etats voudraient qu’elles ne constituent une infraction pénale uniquement en cas de ‘préjudice grave’. Nous avons inclus une approche intersectionnelle, c’est-à-dire que nous demandons une attention plus grande envers les femmes racisées, précarisées, en situation de handicap ou LGBT. Cette approche va-t-elle survivre aux négociations ?"

Autre demande pour les eurodéputé·es : "Il faut exiger la mise en place de plans d’action nationaux contre les violences faites aux femmes. Cela ne suffit pas de dire qu’il faut transposer la directive dans le droit national pour telle année. On constate parfois un manque de suivi", observe Saskia Bricmont.

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Une directive à la hauteur des ambitions ?
Les trois instances de l’Europe, le Parlement, la Commission et le Conseil, sont en négociation à propos des modifications à apporter sur la directive, lors de ce qu’on appelle des trilogues.

"La Commission et le Parlement semblent parler d’une même voix mais selon les informations qui nous parviennent, certains Etats-membre vont se montrer intransigeants quant aux modifications qu’ils demandent. Et cela pourrait faire l’objet de marchandages à l’intérieur du Conseil : ‘Si tu abandonnes telle demande, on lâchera autre chose qu’on estime moins importante dans une autre directive, mais qui compte pour toi’. Encore une fois, les droits des femmes sont un champ de bataille politique. Nos droits ne sont pas négociables !", s’insurge Irene Rosales.

"Il faut lutter pour que la directive reste à la hauteur des ambitions premières. Les femmes ne vont pas comprendre que l’on passe à côté de l’opportunité d’un tel changement à long terme…", continue-t-elle.

"Lors de ces trilogues, chacune des trois instances va expliquer à quoi elle tient absolument et ce qu'elle est prête à abandonner. La présidence du Conseil européen va revenir vers les Etats-membres pour en parler avec eux. C’est là qu’entre en jeu la société civile pour faire pression sur les gouvernements. Le pays qui assure la présidence du Conseil a aussi un rôle à jouer, il peut essayer d’impulser une direction", analyse Saskia Bricmont.

C’est l’Espagne, pays favorable à une définition commune du viol, qui assume la présidence du Conseil pour l’instant. A partir du 1er janvier 2024, c’est… la Belgique qui prendra les rênes de cette instance européenne. 

Céline, les conséquences des violences sexuelles – Une vidéo Les Grenades

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


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