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Les Bobines du Cinéma : dans les yeux de Nastasja Saerens, cheffe opératrice

15 Avril 2023, 16:10pm

Publié par hugo

 Les Bobines du Cinéma : dans les yeux de Nastasja Saerens, cheffe opératrice

© Tous droits réservés

12 avr. 2023 à 14:37

Temps de lecture9 min
Par Elli Mastorou pour Les Grenades
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Nastasja Saerens
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Elles tournent, jouent, montent. Elles font, regardent, racontent. Elles sont dans la fiction, le documentaire, l’animation. On les croise en festivals, en plateau ou dans leur bureau. Dans la série Les Bobines du Cinéma, Les Grenades tirent le portrait d’une professionnelle de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un entretien en profondeur, pour découvrir une personnalité, une passion, un métier – mais aussi pour aborder le cinéma sous l’angle du genre, et réfléchir collectivement à plus d’inclusivité. Nous avons rencontré Nastasja Saerens, cheffe opératrice qui a signé l’image de L’Employée du mois de Véronique Jadin, une comédie féministe sanglante sortie le 29 mars dernier – et encore à l’affiche.

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En collaboration avec Elles Font Des Films.

FICHE TECHNIQUE

Nom : Saerens

Prénom : Nastasja (elle)

Naissance : 19 avril à Uccle

Profession : Cheffe opératrice

Formation : IAD (Institut des Arts de la Diffusion), Louvain-La-Neuve

Filmographie : L’Employée du Mois de Véronique Jadin (long-métrage), Juillet 96 de Michèle Jacob (court-métrage), Rien Lâcher de Laura Petrone et Guillaume Kerbusch (court-métrage), Les Yeux d’Olga de Sarah Carlot Jaber (court-métrage), A la recherche de nouveaux modèles (série, un épisode)

Femmes inspirantes : Claire Mathon, cheffe opératrice ("elle fait des images hyper sensorielles, avec une complexité dans la composition, je n’avais jamais vu ça avant elle "), Virginie Surdej, Lynne Ramsay (We Need To Talk About Kevin), Julia Ducournau (" Titane, c’était un vrai choc ")

Partie 1 - "Je voulais filmer les films"
Nastasja Saerens a accepté d’aborder avec nous son métier de cheffe opératrice. Ou devrait-on dire plutôt directrice de la photographie ? Y a-t-il une différence entre les deux, au fond ? "En général il n’y a pas vraiment de différence. En fait ça dépend du type de tournage : la distinction vient des films à plus gros budget, où on peut distinguer la personne qui s’occupe du cadre et la personne qui s’occupe de la lumière, car chaque poste est distinct et la hiérarchie est stricte. Moi je dis cheffe op, ou alors on met "image : Nastasja Saerens" dans le générique. Ça m’est un peu égal".

A l’origine, la passion de Nastasja pour les images lui vient de son papa, ingénieur physicien "la tête dans les étoiles" et cinéphile passionné, avec qui elle va au cinéma ou loue des films à la célèbre médiathèque du Passage 44. 2001, l’Odyssée de l’espace, Mort à Venise, Un nouveau monde de Terrence Malick…. Mais son premier choc de cinéma, ce sera devant Mulholland Drive de David Lynch. "J’avais l’impression de visiter les recoins sombres et mystérieux de l’âme humaine avec une caméra. Ce film m’a vraiment donné envie de jouer un rôle dans cette mécanique. Je suis tombée amoureuse du cinéma à ce moment-là – plus précisément de l’image, mais ça j’ai mis du temps avant de le comprendre…"

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Ce n’est qu’au fur et à mesure de son parcours que la passion pour l’image se précise pour celle qui, petite, disait qu’elle voulait "filmer les films". Après des petits films de vacances et la photo argentique à l’Académie Constantin Meunier, elle décide de passer l’examen d’entrée de l’IAD. Histoire de maximiser ses chances, elle tente à la fois l’option image et l’option réalisation. "J’ai été prise aux deux, et j’ai finalement opté pour l’image. Mon instinct m’a bien guidée. Souvent dans les écoles de cinéma, tu dois prouver que tu es fait·e pour ce métier, alors que tu es censé être là pour apprendre. Je craignais que cet écueil soit plus exacerbé en réalisation, alors que les autres options avaient des dimensions techniques plus tangibles."

Un paradoxe pour Nastasja, qui est à la base plutôt littéraire. "Ce manque de légitimité autour de la technique, ça m’a poursuivie pendant des années. C’est aussi lié au genre bien sûr, ce côté 'les filles sont nulles en maths', ça m’a angoissée jusqu’à l’absurde. A l’examen d’entrée un prof m’a demandé dans quel sens on visse. Sur le moment, ça m’a stressée, mais avec recul je trouve ça incroyable qu’on me pose une question pareille."

De ses années d’études, elle retient la liberté dans les choix artistiques et les collaborations, ainsi que l’accompagnement de cheffes opératrices comme Ella Van den Hove et Virginie Saint-Martin. Elle regrette "le côté très compétitif, entretenu sous prétexte que c’est ce qu’on allait vivre ensuite dans le monde professionnel. Je trouve que du coup, on aurait pu s’en passer en amont !"

J’avais l’impression d’être l’assistante du chef opérateur, pas de la caméra

Le diplôme en poche, Nastasja enchaîne les petits boulots liés à l’image, comme électro ou assistante caméra ; d’abord sur des courts-métrages, puis dans des séries et films internationaux avec du gros casting et du budget. Paradoxalement, ça l’a démotivée : "J’ai adoré faire électro, mais on m’a souvent dit ‘c’est un métier difficile, il faut porter du matériel lourd, il y a très peu de filles’. Du coup je me suis pliée à ces croyances-là parce que j’avais envie d’être dans ce milieu. Et puis c’est vrai que je me prenais énormément de remarques sexistes ! Ensuite quand j’étais assistante caméra, parfois j’avais l’impression d’être l’assistante du chef opérateur, pas de la caméra : je me suis retrouvée à devoir prendre soin de ses affaires, à apporter le café, en étant débordée sur le plateau… Alors qu’à côté de lui il y avait 10 électros qui ne faisaient rien. Le jour où une collègue m’a dit ‘tu t’habitueras’ ça a été la goutte d’eau, je me suis dit, surtout pas !"

Nastasja franchit alors le pas et se lance comme cheffe opératrice. "C’était entre autres aussi pour justement changer ça de l’intérieur, je me disais, sur les plateaux où je serai cheffe op, ça ne se passera pas comme ça."

Parallèlement, elle décide de poursuivre les études avec un Master en Scénario à l’IAD "Savoir lire un scénario me semblait essentiel pour bien faire mon métier. A côté, je filmais des mariages, je faisais des captations de théâtre, des vidéos d’entreprise, de la pub… C’était une double vie intense (rires) mais ça me permettait de gagner ma vie."


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Partie 2 - "Je vois le métier comme une expérience collective"
"Ce que je préfère, c’est le fait d’être la première spectatrice du film, des émotions de l’histoire, à travers la caméra. Spectatrice et ‘passeuse’ à la fois, car tu vas ensuite transmettre ces images au public, en rajoutant un peu de couleur, une mise en image… C’est une position très poétique."

Libérée des angoisses dues à la technique, elle se voit davantage comme une créatrice au même titre que les réalisateurs et les réalisatrices aux côtés desquels elle travaille. "Il faut se faire confiance, avoir foi en ses idées, et le reste peut suivre. Mais trouver l’image la plus juste possible par rapport à un propos, un personnage, un scénario, c’est ça qui me passionne vraiment."

Une passion qu’elle combine avec ses valeurs d’écoute, d’égalité et de bienveillance. "On est souvent très attaché au résultat, à l’esthétique, et moins au ressenti. Or moi je vois le métier comme une expérience collective : c’est important d’être entouré·e de gens différents, qui vont apporter un regard sur ce tu fais, plutôt que d’affirmer un point de vue unique, et que l’équipe soit là pour servir ta vision."

 

Ce sont surtout des personnes blanches privilégiées qui ont accès au métier 

 Aujourd’hui elle se sent plus "entourée" en termes de présences féminines, devant ou derrière la caméra. "Je suis arrivée à un moment où il y avait cette nécessité de nous affirmer, et c’est aussi grâce à toutes ces réalisatrices qui ont commencé à tourner que j’ai réussi à me faire une place."

Mais un grand problème qui subsiste est l’absence de mixité sociale et ethnique dans le milieu : "En gros, ce sont surtout des personnes blanches privilégiées qui se présentent aux écoles et qui accèdent au métier. C’est assez violent, et questionnant. En fait c’est tellement compliqué de réussir à réaliser un film, à le financer, qu’il n’y a pas de place pour le doute, le risque, ou la possibilité d’embaucher des personnes moins expérimentées."

Or, dans les gens qui ont structurellement moins accès à la professionnalisation, on trouve évidemment des femmes, des personnes racisées… "C’est un cercle vicieux", constate amèrement Nastasja, et on pense à l’article percutant de la cinéaste belge Zahra Benasri sur Vice Belgique, ou à l’édifiant documentaire Ouvrir la voix d’Amandine Gay, qui abordent frontalement cette question-là.


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Partie 3 - révéler, pas cacher
En 2021, entre deux coupures Covid, Nastasja a tourné son premier long-métrage en tant que cheffe op : L’Employée du mois de Véronique Jadin, une comédie sanglante qui aborde le rapport au travail d’un point de vue féministe à travers l’histoire d’Inès, employée dans une société de nettoyage, qui tue accidentellement son patron…


"Véronique m’a fait lire son scénario, et j’ai adoré ! Ça m’a fait du bien de lire un film comme ça, et c’était la porte ouverte à plein de recherches intéressantes en termes d’image, parce que tout se passe dans un décor avec des bureaux gris, volontairement pas sexy du tout : un vrai défi !", rigole-t-elle.

Un autre gros défi était comment raconter Inès et son parcours d’émancipation à travers l’image : "Au début, on la filme de haut, pour montrer à quel point elle est dominée, après on essaye de la libérer et on la filme davantage en contre-plongée…"

Ce que je préfère, c’est le fait d’être la première spectatrice du film, des émotions de l’histoire, à travers la caméra. Spectatrice et ‘passeuse’ à la fois, car tu vas ensuite transmettre ces images au public, […] C’est une position très poétique

Film indépendant loin des grands studios et ses hiérarchies rigides, L’Employée du mois a permis une grande liberté également en termes de représentation de Jasmina Douieb, qui incarne Inès : "On pouvait mettre en valeur ses caractéristiques, plutôt que d’être dans une forme d’esthétisation normée, à travers l’usage de lumière très diffuse, ou de filtres diffusants, par exemple,…"

Les filtres quoi ? On interrompt Nastasja pour lui demander une explication. "Ce sont des filtres qu’on met sur la caméra pour ‘diffuser’, l’image, c’est-à-dire casser la résolution. Combiné à des techniques d’éclairage, ça rend la peau plus lisse à l’image. On l’utilise entre autres pour gommer les rides des comédiennes plus âgées…"

A l’époque où elle était électro sur un gros tournage avec une célèbre actrice française qu’on ne citera pas, elle devait "construire son "mur de lumière" tous les matins – c’est intimidant, parce que ces actrices savent quel angle et quelle lumière les mettent en valeur, elles ont un contrôle absolu de leur image. Le chef op’ râlait parce qu’on ne pouvait pas être créatif…"

En écoutant Nastasja, on comprend que les filtres diffusants, c’est le Photoshop du cinéma. Elle acquiesce : "Sur L’Employée du Mois, c’était un vent de fraîcheur de filmer les comédiennes telles qu’elles sont. Ça fait partie aussi des choses qui m’animent en tant que cheffe op féministe ; j’ai envie de normaliser ce qui est considéré comme des défauts, révéler, pas cacher !"

En avril, on pourra voir le travail de Nastasja au Brussels Short Film Festival, dans Monsieur William de Maëlle Grand Bossi et Les yeux d’Olga de Sarah Carlot Jaber.


De fil en aiguille, de courts en longs, aujourd’hui, elle gagne sa vie comme cheffe opératrice à plein temps, notamment grâce au précieux statut d’artiste. "Mais ça m’a pris environ 8 ans pour l’obtenir. C’est d’autant plus dur quand tu débutes, tu galères pendant des mois sans projets, tu dois forcément être aidé·e par ta famille ou avoir un job alimentaire pour pouvoir te le permettre."

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Avant de se quitter, on demande à Nastasja ce qu’elle voudrait changer dans ce métier. "Davantage de prise de risques. On a enfin des projets audacieux portés par des femmes, mais ils ne sont pas encore assez valorisés financièrement."

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Une audace nécessaire autant devant que derrière la caméra : "En 2023, je trouve ça inacceptable de n’avoir aucune femme ou aucune personne racisée dans l’équipe d’un long-métrage. Notamment l’équipe image. On crée des images collectives, c’est important de ne pas les créer sans un minimum de mixité ! Ça commence à bouger, je constate aujourd’hui après 10 ans d’expérience que des jeunes réalisateurs sont préoccupés par ces questions-là. Mais il y a encore un manque de responsabilité cruel par rapport à ces dernières – surtout quand le budget des films augmente."

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Dans la saison 2 de la série Les Bobines du Cinéma
Épisode 1 : Kadija Leclère, raconteuse d’histoires
Épisode 2 : Peggy Fol, une vie de cinéma
Épisode 3 : Isabelle Truc, productrice prolifique
Épisode 4 : Tinne Bral, distributrice passionnée
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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


https://www.rtbf.be/article/les-bobines-du-cinema-dans-les-yeux-de-nastasja-saerens-cheffe-operatrice-11181777

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