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Mères prisonnières : quelles réalités pour les femmes incarcérées ?

30 Octobre 2023, 23:48pm

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 Mères prisonnières : quelles réalités pour les femmes incarcérées ?

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aujourd’hui à 10:12

9 min
Par Jehanne Bergé pour Les Grenades
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Être mère en situation d’incarcération, qu’est-ce que cela signifie ? Comment vivre son enfermement accompagnée de son bébé ? Ou au contraire, comment maintenir le lien lorsqu’on est séparée de son enfant, que les murs de la prison font barrage ? Derrière chaque situation, une histoire singulière et complexe. Les Grenades ont tenté de saisir les enjeux de ces réalités silenciées.

Octobre 2023, prison de Haren, nord Bruxelles. De hauts murs de béton. À l’entrée : "l’access", où les proches de détenu·es forment une longue file en attendant l’autorisation de rentrer.

Marie Mornard, responsable de la section femmes, nous accueille. Badge à la main, nous passons des portiques, des sas, des portes, beaucoup de portes. Après les espaces autorisés au "public", nous pénétrons dans les enceintes fermées de la prison, dans les milieux dits "de vie".

Dans les haut-parleurs, les messages d’annonce d’appels retentissent. À gauche, la maison d’arrêt d’où sortent des cris. À côté, la maison de peine. Et tout au fond de la cour, le bâtiment des femmes.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Nouvelle prison, les femmes en minorité
"Pour l’instant, il y a 109 femmes, c’est trop, nous allons devoir opérer des déplacements avec d’autres prisons", introduit Marie Mornard en entrant dans la section femmes. Derrière les portes, les détenues vont et viennent. Certaines sortent du "travail", d’autres discutent du paiement du salaire, des objets permis à l’intérieur des murs, de la planification de leur sortie prochaine.

La directrice répond aux questions des femmes, des gardien·nes. Avant Haren, Marie Mornard a dirigé la prison non-mixte de Berkendael pendant 12 ans. C’est en novembre 2022 que les détenues ont été transférées dans la maxi-prison mixte de Haren. Selon plusieurs travailleuses sociales en milieu carcéral, ce changement aurait entrainé une perte d’humanité et une réduction de marge de manœuvre.

"C’est vrai qu’il y avait quelque chose de plus simple au niveau de l’organisation et de la flexibilité. Ici, le règlement est le même pour tout le monde, c’est plus rigide", concède la directrice. Ce qui se passe à Haren est symptomatique de la réalité carcérale générale : les femmes ne forment que 4 à 5% de la population en prison. Le fait qu’elles soient largement minoritaires en prison peut faire d’elles des "variables ajustables".

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Accueillir un bébé en prison
Concernant la maternité, les femmes incarcérées (le cadre légal parle de parent, mais dans les faits, jusqu’ici, il n’y a que les femmes qui seraient concernées !) peuvent dans certains cas, garder leur enfant avec elles jusqu’à l’âge de 3 ans. "Il y a plusieurs possibilités : certaines dames sont arrêtées et enfermées directement avec leur bébé. D’autres déposent une demande pour faire venir l’enfant", éclaire Marie Mornard.

Parfois il y a plusieurs bambins en même temps, parfois il n’y en a pas. Pour l’instant à Haren, aucun enfant ne court les couloirs froids, mais les espaces de la section femmes ont été pensés (plus ou moins) pour leur accueil. Il y a des préaux spéciaux (un petit espace extérieur avec des jeux accrochés au sol en balatum) accessibles à la demande de la mère, peu importe le moment de la journée.

Concernant les cellules mères-enfants, comme le bâtiment a été conçu pour (et probablement par) des hommes principalement, les espaces comptent quelques manquements. Les unités mères-enfants sont constituées de deux pièces séparées par une porte. "Quand nous avons eu ici une maman avec son bébé, nous les avons installé·es dans une cellule duo, c’était plus confortable", livre Marie Mornard.


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Assurer le lien maman-enfants entre les murs
Derrière une porte, une petite salle remplie de jeux, de livres, de coussins. Par la fenêtre, à l’horizon, un tag anti-prison. L’espace aux allures de mini-garderie a été aménagé par l’ONE ; comme le préau pour enfants, il doit rester accessible à tout moment de la journée aux mères incarcérées avec leur enfant.

Au sein de la prison, à la suite du protocole d’accord, l’ONE assure un accompagnement médico-social ainsi qu’un soutien à la parentalité aux femmes enceintes et aux mères incarcérées avec leur enfant de moins de trois ans. "Nous construisons dans un lieu qui n’est pas du tout propice à ça le projet le plus bienveillant possible au déploiement d’une relation mère-enfant", explique Stéphanie Blondeau, psychologue pour l’ONE.

Il y a des règles et il nous arrive régulièrement de devoir les rappeler : dès qu’une femme est en présence de son bébé, on doit lui enlever les entraves

L’Office crée également des partenariats avec les crèches aux alentours des prisons pour pouvoir accompagner l’enfant dans sa vie à l’intérieur et à l’extérieur des murs. "La maman doit confier son enfant à une crèche qu’elle n’a jamais vue. Ce n’est pas facile. Nous assurons le lien", ajoute Aurore Dachy, coordinatrice du projet prison l’ONE.


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Aux côtés des bébés et des mamans
Si la mission première de l’ONE est d’assurer le bien-être de l’enfant, de facto, les équipes prennent également soin des mères. "Les femmes comprennent assez vite que le soutien est souvent bon à prendre au sein des murs de la prison. Nous leur apportons une aide concrète, parfois il s’agit de fournir des biberons, des bodys, un lit cododo…. Comme l’enfermement les rend très dépendantes, elles s’appuient sur nous pour à peu près toutes les démarches qui concernent l’enfant", témoigne Stéphanie Blondeau.

Elle continue : "Être une mère seule en dehors des murs de la prison, c’est déjà très lourd, mais être une mère seule sous le regard des équipes de gardien·nes à longueur de journée, avec les contraintes imposées par une prison sans jouir de la liberté de ses mouvements, c’est extrêmement lourd."

Concernant les naissances, les femmes accouchent dans des hôpitaux partenaires. "Il y a des règles et il nous arrive régulièrement de devoir les rappeler : dès qu’une femme est en présence de son bébé, on doit lui enlever les entraves", souligne la psychologue. Certaines mises au monde se déroulent dans des contextes très critiques : il peut arriver que la justice décide au moment de la naissance de retirer le bébé à sa mère.

"Les décisions sont prises au moment de la naissance. C’est alors extrêmement violent. Sans pouvoir préparer les choses en amont, le bébé se retrouve placé dans l’urgence et pas toujours dans les meilleures conditions, car les services d’aide à la jeunesse sont complètement débordés et manquent de moyens", indique Aurore Dachy.

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La double peine d’enfermement
Les deux expertes témoignent de la complexité des conditions dans lesquelles les enfants grandissent avec leur mère en prison et de l’impact inévitable sur la construction de l’attachement. "Dans cet environnement sensoriel extrêmement particulier, ce n’est pas simple de les rassurer autrement que par le peau-à-peau."

Elles continuent : "Quand on est jeune maman, il arrive qu’on puisse se sentir enfermées par toutes les nouvelles contraintes liées à l’arrivée du bébé. Les mères incarcérées sont donc potentiellement soumises à une double peine d’enfermement."

Beaucoup craignent que leur parent soit victime de violence ou pas bien nourri·e. Les petit·es veulent protéger leur parent, c’est important de leur expliquer les choses clairement,

Concernant les aménagements de Haren, l’ONE a pointé de nombreux manquements avant le déménagement des femmes. "Il y a le problème de la porte qui sépare les deux pièces de la cellule mères-enfants, mais aussi toute une série d’autres soucis. Par exemple, chaque femme se lave dans sa propre douche, c’est super mais l’eau sort du plafond et la température est automatique, Comment on remplit un bain de bébé dans ces conditions ? Quand nous sommes arrivées avec ces questions, nous nous sommes rendu compte que c’était un impensé dans le chef de la prison. Heureusement, nous avons travaillé (et continuons à le faire) de manière constructive avec la direction pour pouvoir faire avancer les choses", commente Stéphanie Blondeau.

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Les enfants en visite
Après l’âge de trois ans pour les enfants qui ont grandi en prison, ou dès n’importe quel âge pour celles et ceux qui restent à l’extérieur des murs, c’est l’asbl "Relais Enfants-Parents" qui prend la main de l’accompagnement. Nous retrouvons Pauline Anne De Molina, psychologue du Relais Enfants-Parents dans une salle de visite de la prison de Haren.

Dans cet espace, pas la moindre verdure, mais de grandes vitres qui laissent passer la lumière naturelle. Ce lieu est réservé en priorité aux activités du Relais. Un petit carré de jeu intérieur et un autre à l’extérieur sont installés. "L’accès extérieur ne fait pas rêver, mais il y a du potentiel : j’espère un jour pouvoir amener des bacs à potagers pour que les enfants puissent planter avec leur parent." Dans une armoire, des crayons de couleur, des jouets. "J’aimerais que bientôt ces murs gris soient couverts de dessins colorés ; je suis convaincue que l’environnement dans lequel on se trouve et circule a un impact important sur les relations."

Et les relations, c’est sa spécialité. En effet, Pauline Anne De Molina œuvre, quand c’est dans l’intérêt de l’enfant, au maintenir du lien entre l’enfant et son parent incarcéré·e, père ou mère. "Parfois, il s’agit juste d’un échange de courrier, de photos, d’un carnet de correspondance…. Mais l’autre manière de maintenir le lien ce sont les visites, elles constituent la plus grosse partie de notre travail."


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Ensemble, un peu de joie
Concernant l’organisation des visites, le Relais Enfants-Parents opère selon deux modalités différentes. Premièrement, des visites individuelles, par exemple dans des situations de fait de mœurs ou de longues ruptures ; l’équipe est alors présente en soutien.

La deuxième formule (qui est la plus fréquente) consiste en l’organisation de visites collectives : plusieurs parents avec plusieurs enfants en même temps. "Ici pendant une heure et demie ça crie, ça rigole, ça saute. Nous tentons de créer un contexte presque normal de mise en relation", relate Pauline Anne De Molina. Pour garantir la mise en lien, le Relais accompagne les parents enfermé·es et les enfants à l’extérieur. Selon les chiffres de l’asbl, quand le père est incarcéré, dans 75% des cas, l’enfant reste chez la maman. Par contre, quand la maman est incarcérée, seulement 20 à 30% des enfants sont gardés par leur papa.

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Dès lors, quand une maman est incarcérée, dans la majorité des cas, les enfants sont placés en institution ou chez des proches, ce qui change évidemment l’impact de l’emprisonnement du parent sur leur vécu. Qu’ils ou elles vivent en famille ou dans un service d’aide à la jeunesse, dans le cadre des visites organisées par le Relais, les enfants peuvent être emmené·es par des volontaires de la Croix Rouge jusqu’à la prison. "Nous, on les attend à l’entrée, à ‘l’access’. Nous insistons pour qu’aucun adulte extérieur ne puisse entrer, afin de garantir un contact privilégié entre parent et enfant sans que les problèmes d’adultes ne prennent le dessus", continue la psychologue.

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Rassurer, réconforter, sécuriser
L’accès aux chambres et espaces communs des détenu·es est interdit aux visiteur·rices. Une règle qui se révèle parfois très difficile à accepter pour les enfants. "L’avantage d’une nouvelle prison, c’est qu’il y a plein de photos sur le Net. Ça permet aux enfants de visualiser, ça peut aider à les rassurer. Quand on les rencontre en amont de leur visite, on essaye de déconstruire les peurs légitimes autour de la prison. Beaucoup craignent que leur parent soit victime de violence ou pas bien nourri·e. Les petit·es veulent protéger leur parent, c’est important de leur expliquer les choses clairement, de les aider à mettre des mots sur la prison", insiste la psychologue.

À savoir, en dehors du Relais, les enfants peuvent se rendre aux visites "à table", c’est-à-dire aux visites normales, mais ils et elles doivent être accompagné·es d’un·e adulte de l’extérieur. Les détenu·es peuvent aussi réserver des mini-studios familiaux pour quelques heures.

Alors que nous nous apprêtons à quitter les murs sécurisés de la prison pour retrouver le monde de dehors, Pauline Anne De Molina nous souffle : "J’assiste à tant de situations injustes et violentes pour les enfants… Ça vient parfois me chercher très loin, mais j’ai envie de croire que redonner aux détenu·es leur rôle de père, de mère permet de leur redonner une place dans la société aussi."

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


https://www.rtbf.be/article/meres-prisonnieres-quelles-realites-pour-les-femmes-incarcerees-11279427

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