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Entre colère et espoir, comment le collectif féministe belge "Femme, Vie, Liberté" soutient les femmes iraniennes

16 Février 2023, 01:29am

Publié par hugo

 Entre colère et espoir, comment le collectif féministe belge "Femme, Vie, Liberté" soutient les femmes iraniennes

© Belga

13 févr. 2023 à 12:22

Temps de lecture
10 min
Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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Le 16 septembre 2022, l’Iran apprenait la mort de Mahsa Amini, cette jeune femme de 22 ans arrêtée par des officiers iraniens de la "police des mœurs" pour ne pas avoir respecté les lois du pays en matière d’habillement et plus précisément en ce qui concerne le port du hijab, qui est obligatoire dans le pays. Une mort qui allait créer une onde de choc dans le monde entier et un vaste élan de solidarité.
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A l’annonce de son décès, ce sont les femmes, portées par leur révolte, qui ont lancé le mouvement de protestation. Un grand nombre de manifestations a vu le jour fin 2022 en Iran : des femmes sont descendues dans la rue pour scander "Zan, Zendegi, Azadi" ("Femme, Vie, Liberté"), se couper les cheveux ou mettre le feu à leur hijab. Les étudiantes des écoles iraniennes se sont rassemblées et ont publié sur les médias sociaux des photos et des vidéos des événements en cours. Les hommes les ont suivies dans la rue en guise de soutien. Face à ces différents actes de résistance, la répression du régime est sanglante.

En Belgique, depuis plusieurs mois, le collectif féministe Woman Life Freedom (Femme, Vie, Liberté) s’est créé "en solidarité avec les luttes des femmes et la révolution iranienne pour renverser le régime islamique". Les Grenades ont rencontré six membres de ce collectif. Elles sont Iraniennes ou d’origine iranienne, certaines sont en exil dans notre pays, d’autres y sont nées. Elles travaillent dans le secteur associatif ou sont étudiantes dans le supérieur.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Construire des ponts
"On s’est rencontré petit à petit", explique Maryam. "Ce collectif entend vraiment répondre aux événements en Iran, mais cela ne s’arrête pas là", continue Arezoo. "Nous réfléchissons de plus en plus à la manière dont nous voulons construire des ponts avec d’autres groupes féministes, au-delà des frontières."

Il leur importe néanmoins de mettre en avant les questions qui concernent spécifiquement les femmes. "Quand on parle de révolution, en tant qu’activiste, on sait qu’on va devoir affronter des discussions sur le fait que les droits des femmes ne sont pas importants, que cela doit être mis sur le côté le temps de faire la révolution. Cela s’est déjà produit dans l’histoire. Cette révolution a démarré par des questions qui concernent les femmes, nous devons continuer à porter ces questions comme des priorités. C’est important, pas uniquement pour les Iraniennes mais pour les femmes dans le monde entier !", précise Fariba.

Les femmes font partie des groupes qui ont le moins de droits en Iran

Le collectif a notamment organisé et participé à des marches en Belgique en soutien avec le mouvement en Iran. "Nous avons décidé de mettre des femmes et des personnes LGBTQIA+ à l’avant de ces manifestations, dans les premières lignes, pour qu’elles puissent s’exprimer, en sécurité", explique Maryam. "Et cela n’a pas été simple !", réagit Fariba. "Nous avons dû convaincre les groupes qui participaient aux marches. Nous leur avons demandé de faire confiance aux femmes, nous avons expliqué que nous pouvions les guider depuis les premières lignes."

Voir cette publication sur Instagram
Une publication partagée par Zan Zendegi Azadi Collective Belgium (@womanlifefreedom.be)

Un parapluie assez grand
Elles suivent évidemment de près les événements en Iran, certaines d’entre elles ont encore de la famille qui réside dans le pays. "A cause de cela, il y a une certaine urgence quand nous nous voyons. Il y a toujours des nouvelles informations que nous voulons traiter avec l’angle du genre, mais nous avons décidé de traiter d’autres sujets également, parce que nous habitons en Belgique", souligne Arezoo.

Cette révolution a démarré par des questions qui concernent les femmes, nous devons continuer à porter ces questions comme des priorités

Selon Fariba, l’un des principaux sujets de mobilisation pour les femmes en Iran est la lutte pour leur droit à l’auto-détermination. "Au centre de cette lutte-là se trouve la réappropriation des corps féminins. Quand on lutte pour se réapproprier nos corps, contre le contrôle imposé sur nos corps, on lutte contre toutes les violences, celles faites aux femmes d’abord, mais aussi les autres types de violences", observe-t-elle. "Notre slogan Femme, Vie, Liberté vient des femmes kurdes bien entendu, on l’utilise en Iran comme un slogan pour toutes les minorités dans le pays. C’est comme un parapluie, pour toutes les personnes qui en ont besoin. C’est un parapluie assez grand pour lutter contre les autres oppressions aussi. Sans oublier les violences de classe, les violences économiques !"

Venus continue : "Les femmes font partie des groupes qui ont le moins de droits en Iran. Défendre les droits des femmes aide d’autres groupes qui subissent également ces violences économiques ou religieuses, ces lois iniques. En Iran, les filles appartiennent à leur père, où à un autre homme de la famille. Ce régime permet toutes ces différentes oppressions. Cette révolution n’est pas uniquement cantonnée au hijab obligatoire, même si c’est un sujet important de cette révolte, parce que si une femme veut travailler ou simplement marcher dans la rue ou se faire soigner à l’hôpital, tout va dépendre de ce voile, elle doit le porter. Lutter contre le voile obligatoire, c’est lutter pour avoir accès à tous les droits et tous les services. Elles luttent pour des droits qu’elles n’ont encore jamais eus."

Pour Honey, le hijab obligatoire "symbolise l’effacement de la moitié de la population d’un pays. Cela signifie que le régime affaiblit la position des femmes dans la société tout entière. En retirant leur hijab, les femmes réapparaissent dans la société, en soi, c’est un acte de résistance et d’existence. C’est la chose la plus rebelle qu’une femme puisse faire en Iran. Et c’est ce qu’elles vont continuer à faire."

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Une publication partagée par Zan Zendegi Azadi Collective Belgium (@womanlifefreedom.be)

"Notre corps est un instrument de leurs politiques"
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les femmes luttent dans le pays contre le hijab obligatoire. En 2017 déjà, une femme, d’abord surnommée Girl of Revolution Street, ensuite identifié comme étant Vida Movahed, une mère de 31 ans, a retiré son voile pour le suspendre sur un bâton et le faire flotter dans les airs. Plusieurs femmes avaient reproduit cette action à sa suite, et certaines d’entre elles avaient été arrêtées.


Fariba renchérit : "Le corps des femmes est opprimé dans le monde entier mais en Iran, il y a cette spécificité : nous avons vécu, depuis des milliers d’années, sous un régime théocratique. C’est encore le cas aujourd’hui. Dans l’histoire du pays, d’abord ils ont forcé les femmes à retirer leur voile, avec également la police dans la rue pour les surveiller à cette époque. Puis, le choix a été possible, mais ils utilisaient toujours les femmes, en mettant en avant leur modernité, en disant qu’il y avait des mannequins, des chanteuses, des danseuses iraniennes. Après la contre-révolution islamique de 1979, le voile a de nouveau été obligatoire. Notre corps est un instrument de leurs politiques. Et la réappropriation de nos corps n’est pas uniquement liée au voile, c’est lié à d’autres questions fondamentales : avec qui et quand veut-on avoir des relations sexuelles ?, est-ce qu’on veut des enfants, ou pas ? Est-ce qu’on a accès à l’avortement si on le souhaite ? Ce sont des questions que se posent les femmes dans le monde entier, aussi en Belgique !"

Le 8 mars 1979, des centaines de femmes manifestaient déjà en Iran contre les lois qui créent le hijab obligatoire. "Les femmes sont les premières à avoir compris ce qui allait arriver lors de la contre-révolution islamiste. Les femmes et les filles ont résisté. En fait, partout où on oppresse les femmes, elles résistent", rappelle Roxanne.

En retirant leur hijab, les femmes réapparaissent dans la société, en soi, c’est un acte de résistance et d’existence. C’est la chose la plus rebelle qu’une femme puisse faire en Iran

Parmi les objectifs du collectif, "renverser la République islamique d’Iran" vient en premier. "Et on n’entend pas le faire depuis l’extérieur, pour nous, cela signifie nous appuyer sur ce dont les Iranien·nes, qui vivent dans le pays, ont besoin", précise Roxanne. Et cela signifie également reconnaître "que nous ne voulons pas revenir en arrière, vers le régime du Shah ou un autre régime autoritaire. Nous voulons avancer !", poursuit Arezoo. "Le régime vit beaucoup de crises en même temps, et un grand nombre de personnes veulent du changement. Je ne pense pas qu’un retour en arrière soit possible. On a vu que les femmes s’étaient déjà mobilisées dans le passé. La différence cette fois-ci : les hommes ont fini par rejoindre ce mouvement révolutionnaire initié par les femmes", souligne quant à elle Fariba.

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Instrumentalisation et répression
Cependant, Arezoo tient à préciser que la lutte contre le voile obligatoire en Iran a été instrumentalisée, dans beaucoup de pays occidentaux, " à des fins islamophobes et on n’est vraiment pas d’accord avec ça. " Fariba analyse : " On n’a pas voulu se faire instrumentaliser par l’extrême droite. C’est comme si la lutte contre le voile obligatoire était la seule revendication des Iranien·nes. C’est faux ! Ce n’est que la première étape. C’est une manière de minimiser les luttes." Honey dénonce : "Ces discours islamophobes existent déjà dans les pays occidentaux, certains estiment que si les Iraniennes ne veulent pas porter le hijab, alors personne ne peut en porter !"

Elles constatent également une certaine fétichisation des Iraniennes dans les discours et les médias. "D’un côté, il y a les Iraniennes passives et opprimées, de l’autre, on les dépeint comme tellement courageuses. Ce sont deux manières de les essentialiser. On passe sous silence qu’elles luttent aussi juste pour pouvoir manger, et nourrir leur famille. La population s’appauvrit en Iran ces cinq dernières années, surtout les femmes. On a aussi pu entendre qu’elles devaient retirer leur voile car elles sont si belles qu’on doit pouvoir les voir. C’est dangereux ce genre de propos ! Ces femmes luttent parce qu’elles n’ont pas d’autres choix", s’insurge Roxanne. "Et parce qu’elles n’ont plus rien à perdre, complète Honey. "C’est ce qui est différent, je pense, cette fois-ci. La peur a disparu. Ce qu’elles chantent dans les manifestations est tellement triste. Elles disent : ‘Je sors dans la rue, dites à ma mère qu’elle n’a plus de fille’. Elles savent qu’elles risquent de perdre leur vie. Quel plus grand sacrifice peux-tu faire ?"

En Iran, des milliers de personnes sont aujourd’hui emprisonnées, certaines sont torturées et risquent d’être exécutées. Au moins quatre manifestants ont récemment été pendus. "Les hommes subissent aussi les emprisonnements et les tortures. Pourquoi la répression est-elle si forte à chaque fois que les femmes luttent ? Ils ont peur de ces femmes fortes, qui ont leurs propres opinions et qui ont lancé ce mouvement. Par contre, il faut préciser que les violences faites aux femmes sont légales en Iran. Ce n’est pas la même chose pour les hommes. Les violences envers les femmes sont même conseillées, pour protéger l’honneur de la société et ses traditions", explique Maryam.

C’est comme si la lutte contre le voile obligatoire était la seule revendication des Iranien·nes. C’est faux ! Ce n’est que la première étape

"J’aimerais quand même donner un peu d’espoir", intervient Arezoo. "Les femmes continuent à utiliser la désobéissance civile, même des petits actes, simplement sortir sans leur hijab, c’est déjà incroyable. J’ai beaucoup de respect pour elles. Elles disent clairement qu’elles ne sont pas obligées de subir ce que le gouvernement leur impose. C’est important de montrer notre solidarité, mais aussi de regarder vers le futur d’une manière positive. Les choses sont en train de changer. Il faut que les gens comprennent que c’est possible. Pour survivre, nous voulons utiliser notre imagination et penser à ce monde que nous allons créer ensemble."

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Solidarité féministe
Pour ce faire, dès sa création, le collectif s’est inscrit dans une solidarité internationale avec les autres associations féministes et les groupes progressistes, en Belgique également. "Pour être honnête, on s’attendait à plus de solidarité venant des groupes européens. Certains nous soutiennent, nous contactent, mais cela reste une minorité", explique Arezoo. "De ce que je comprends, il y a cette crainte de parler à notre place, l’idée que ce sont les Iraniennes qui doivent s’organiser. Je pense que l’envie est là, mais beaucoup ne savent pas comment aider", réagit Honey. "La solidarité que nous pouvons recevoir, notamment en Belgique, dépend de la capacité du mouvement féministe à avoir une vision internationaliste, c’est-à-dire à comprendre que les luttes sont interconnectées. Cela dépend également de la force du mouvement. En Belgique, le mouvement féministe était fort en 2019, il est plus faible aujourd’hui je trouve. Cela impacte la solidarité féministe", souligne Roxanne.

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Néanmoins, des liens commencent à se créer en Belgique. Leurs discussions avec les féministes belges portent par exemple sur le nationalisme. "Nous nous intéressons au nationalisme flamand et persan. Qu’ont-ils en commun ? Qu’est-ce qui est en jeu pour nous, les femmes ? Nous partageons des informations", précise Arezoo. "On le voit en Europe et aux États-Unis : quand le nationalisme connaît un essor, le corps des femmes est la première chose qui est attaquée. Je suis née en Suède, le gouvernement est d’extrême droite maintenant. Après les élections, la première chose qu’ils ont faite a été de réduire le délai durant lequel tu peux avorter. Cela se passe sous nos yeux ! Il est important de faire le lien entre le droit à l’auto-détermination des femmes en Iran et aussi en Europe", continue Honey.

"La question n’est pas seulement ce que les féministes peuvent nous apporter, mais aussi ce que les femmes iraniennes peuvent apporter au féminisme", sourit Fariba. "Imaginez si on renverse le régime islamique, si on parvient à se réapproprier nos corps. Toutes les femmes vont en bénéficier.  On apprend beaucoup de leçons de ce moment révolutionnaire. Je ne savais pas qu’on était si puissantes."

Prochains moments solidaires à l’agenda du collectif : le 25 février, cela fera un an que la Russie a envahi l’Ukraine, une manifestation est organisée, les membres du collectif Femme Vie Liberté marcheront en soutien aux femmes ukrainiennes, "pour leur auto-détermination et parce que nous savons combien les régimes russe et iranien se soutiennent", précise Roxanne. Et le 8 mars, elles participeront à la grève féministe, organisée par le collecti.e.f 8 maars en Belgique. Elles seront devant l’ambassade d’Iran, avant de rejoindre la grande manifestation féministe.


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Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


https://www.rtbf.be/article/entre-colere-et-espoir-comment-le-collectif-feministe-belge-femme-vie-liberte-soutient-les-femmes-iraniennes-11152021

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