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Les Bobines du Cinéma : Roxanne Gaucherand, entre réalités et frictions

26 Avril 2022, 12:06pm

Publié par hugo

 Les Bobines du Cinéma : Roxanne Gaucherand, entre réalités et frictions
Les Bobines du Cinéma : Roxanne Gaucherand, entre réalités et frictions
24 avr. 2022 à 09:43

10 min
Par Elli Mastorou pour Les Grenades
Les Grenades
Culture
Culture & Musique
CINEMA
CLIP
REALISATRICE
FILMS
ROXANNE GAUCHERAND

Elles tournent, jouent, montent. Elles font, regardent, racontent. Elles sont dans la fiction, le documentaire, l’animation. On les croise en festivals, en plateau ou dans leur bureau. Tous les 15 jours, dans la série Les Bobines du Cinéma, Les Grenades tirent le portrait d’une professionnelle de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un entretien en profondeur, pour découvrir une personnalité, une passion, un métier – mais aussi pour aborder le cinéma sous l’angle du genre, et réfléchir collectivement à plus d’inclusivité. Pour ce quatrième épisode, on a rencontré Roxanne Gaucherand, réalisatrice cinéma et clip dont l’univers est à la lisière de l’onirique et du documentaire.

En collaboration avec Elles Font Des Films.

FICHE TECHNIQUE

Nom : Gaucherand

Prénom : Roxanne (elle)

Date et lieu de naissance :  1991, France

Profession : réalisatrice cinéma et clip, assistante mise en scène, productrice, scénariste

Formation : BTS option Image (France), Beaux-Arts (France), INSAS (Belgique)

Filmographie : Pyrale (moyen métrage), Break de Maud Geffray (clip), Revues de Pépite (clip), Souterrains de KCIDY (clip), La Vie d’Avance de Ascendant Vierge (clip)…

Femmes inspirantes : Donna Haraway ("son travail est un vrai programme artistique pour reconstruire un imaginaire collectif"), Starhawk, Isabelle Stengers ("pour leur rapport à la science-fiction comme terrain de recherche face à un futur incertain"), Buffy Summers ("les personnages de fiction m’inspirent souvent"), Oklou ("pour sa douceur, son rapport au vivant").

PARTIE 1 – Gus Van Sant et Le Sixième Sens
Je retrouve Roxanne Gaucherand au centre-ville de Bruxelles pile pour la pause-midi. On est toutes les deux un peu à la bourre, et toutes les deux très affamées. Elle me dit : "Tu connais les banh mi ?". Je ne connais pas, alors je la suis jusqu’à un petit snack vietnamien près de la Bourse. Cinq minutes et cinq euros plus tard, on est assises devant des petits pains garnis aux parfums de coriandre et de sauce caramélisée. ( banh mi signifie en vietnamien ‘pain de blé’).

La première fois qu’on s’est rencontrées avec Roxanne, c’était l’été dernier lors du festival bruxellois de clips VKRS. J’avais accepté leur proposition de faire partie du jury poussée par la curiosité de découvrir une nouvelle façon de raconter par l’image et le son, moi qui suis surtout habituée à visionner des longs ou des courts-métrages de docu et de fiction.

Elle y présentait ‘Souterrains’ de KCIDY en compétition : l’histoire d’une romance aussi furtive que fantasmée durant un trajet en bus dans la nuit, nourrie de jeux de regards entre deux filles, sous l’œil bienveillant de la conductrice-chanteuse. A partir de la pop nostalgique de KCIDY, Roxanne met en images un conte crépusculaire à la fois rétro et moderne, queer, doux et mélancolique, et qui lorgne vers le fantastique…

Les images, justement, Roxanne a toujours su qu’elle voulait travailler dedans. Même avant de savoir quoi faire avec, et comment. "De base j'ai une culture pop mainstream, très nourrie de cinéma d'horreur, qu’on regardait ensemble avec ma mère", raconte-t-elle.

Adolescente à Montélimar (Sud-Est de la France) au milieu des années 2000, elle découvre le cinéma à travers les sorties scolaires du lycée dans les salles Art et Essai (où elle est marquée par ‘Elephant’ de Gus Van Sant), ou les séances interdites aux mineurs où elle se glissait en douce avec ses parents, comme ‘Le Sixième Sens’ de M. Night Shyamalan ("Mon père m’avait caché la moitié du film, mais j’avais imaginé le pire ! Ça me faisait peur mais ça me fascinait en même temps").

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe


L’adolescente pop mainstream affûte ainsi son goût des images vers des références pointues, et vise les concours des grandes écoles publiques françaises de cinéma que sont la FEMIS ou l’Institut Lumière – le tout avec le soutien moral et financier de sa famille, un apport précieux qui n’est pas toujours acquis. Mais avant de passer leurs exigeants concours d’entrée, il faut deux ans d’études préparatoires : Roxanne opte pour un BTS image pour l’aspect technique, et enchaîne avec un an aux Beaux-Arts de Lyon pour le bagage artistique… avant de déménager en Belgique.

Car c’est finalement à l’INSAS qu’elle complètera sa formation en réalisation, venant grossir les rangs de la (grande) communauté française expatriée dans nos contrées. "On ne fait pas exprès de rester entre Français, mais si on ne se constitue pas une famille, qui nous fera des crêpes le dimanche ?", rigole-t-elle entre deux bouchées dans son banh mi. Blague à part, Roxanne a trouvé sur les bancs de l’INSAS celle qui sera sa famille de cinéma, avec qui elle a fait son film de fin d’études, et avec qui elle travaille encore aujourd’hui.

De l’INSAS, elle retient aussi l’apprentissage de l’univers du documentaire. Une façon de raconter différente des films de fiction, traversée par des questions sociales et éthiques sur comment regarder l’autre, qui lui fera forte impression. D’ailleurs son mémoire de fin d’études fut accompagné par Sophie Bruneau – réalisatrice de ‘Rêver sous le capitalisme’, selon nous un des documentaires les plus forts de ces dernières années…

PARTIE 2 – Entre pop mainstream et féminisme radical
‘Souterrains’, ‘Les Gens Heureux Dansent’, ‘Forever’… : Entre 2016, date à laquelle elle est sortie de l’INSAS, jusqu’à aujourd’hui, Roxanne a tourné une dizaine de clips environ, produits avec l’appui de la collective bruxelloise Kokoro dont elle fait partie. Une structure créative qui revendique des collaborations saines et éthiques et dont les mots d’ordre sont : Queerness, Care, Respect et Sincérité. "Une des raisons qui m'attache au clip, c’est que c’est rapide à faire contrairement aux films de cinéma. Ça voyage vite et loin, ça dure 2-3 minutes soit le temps d'attention moyen des gens… On peut raconter des choses avec des artistes qui valent la peine, et défendre des idées politiques en douce à travers ce format. C'est pas un sous-média. Le dernier clip que j’ai réalisé pour Maud Geffray, je crois qu’il a 50 000 vues ? Je ne sais pas si ‘Pyrale’ a été autant vu (rires) !"

J’ai beaucoup manqué de représentations LGBT quand j’étais ado


Son moyen-métrage de 48 minutes achevé en 2020 n’a peut-être pas fait autant de vues, mais il s’est distingué dans de nombreux festivals en France et à international, et a été présélectionné pour les Césars. Un succès mérité, même si à cause du Covid Roxanne est passée à côté de l’expérience festivals "en vrai".

Tourné le temps d’un été dans la Drôme de son enfance, à mi-chemin entre le documentaire et l’onirique, ‘Pyrale’ raconte en parallèle une (vraie) invasion de papillons de nuit, et une romance timide entre deux filles sur le point de terminer le lycée. "Ce sont des lieux qui ne sont pas souvent représentés au cinéma, ou alors toujours d’un point de vue ‘parisien’. Du coup ça me tenait à cœur de raconter ce que c’est d’être adolescente dans cet endroit."

A travers ces papillons de nuit venus d’Asie qui menacent l’écosystème de la région, la cinéaste interroge son – et notre – rapport à l’écologie. "Mais aussi le rapport à la disparition et au deuil, à la fois écologique, et de l’adolescence", complète-t-elle. Un film infusé d’intime (ses grands-parents y apparaissent à l’image) dans lequel les papillons de nuit incarnent à la fois un questionnement écologique, une vision d’horreur digne d’un film fantastique… mais nous rappellent aussi ceux qu’on avait dans le bide durant nos crushs adolescents.


© Betty Lamoulie
"J’ai beaucoup manqué de représentations LGBT quand j’étais ado. Surtout d’histoires de jeunesse avec des gens de mon âge, des gens lambda. On a beaucoup de représentations de lesbiennes très politiques, ou des histoires qui finissent mal… Heureusement qu’internet est arrivé !", se souvient-elle, citant pêle-mêle But I’m A Cheerlader, If These Walls Could Talk, Lost and Delirious ou Naissance des Pieuvres, qu’elle a regardés en boucle adolescente, avant de réaliser plus tard avec hilarité que ces films ont figuré sur le disque dur externe de toute lesbienne trentenaire digne de ce nom.

Sans oublier la série culte ‘The L Word’, qui a comblé un vide énorme en termes de représentation. "Avec tous les problèmes qu’a cette série aussi, mais c’était incroyable de voir tous ces personnages incarner une normalité." C’est tout ce dont la jeune femme avait besoin à cette époque-là : "Savoir que je pouvais avoir une vie tranquille, tout en ayant ça dans ma vie…"

Entre bienveillance et précarité

Aujourd’hui c’est un savoir acquis – du moins dans sa vie privée, parce qu’au cinéma en général le terme LGBTQIA + n’est pas encore vraiment associé à la tranquillité. Mais des cinéastes comme Roxanne contribuent à déplacer le curseur de la normalité. Par les histoires qu’elle raconte, le regard qu’elle pose sur le monde, mais aussi par une façon de travailler en équipe, de partager des idées, des rencontres et des collaborations safe et bienveillantes.

Le revers de la médaille, en revanche, c’est la précarité, encore très forte dans le métier. Dans le créneau un peu "bâtard" du clip vidéo, cela se ressent d’autant plus. "On espère avoir un jour accès à des budgets qui permettent de vivre décemment. Souvent des labels me contactent pour prendre quelques idées et ne donnent pas suite. Moi en attendant, j’ai fait un dossier complet qui m’a pris 3 jours de travail, sans argent. J’ai l’impression parfois qu’on doit prouver qu’on sait faire des trucs ‘mainstream’, mais sans avoir le budget ‘mainstream’qui va avec ! Ça ne me dérangerait pas de faire un projet plus classique, qui me permettre de bien vivre, et de faire un bon travail. Je ne suis pas snob, quoi !", assène celle qui n’a pas oublié sa culture teenage des années 2000.

"Le but, à la fin, c’est de se comprendre"

Entre deux tournages pour ses projets, Roxanne comble le manque à gagner par des contrats d’assistante sur des tournages. "Quand je réalise, la charge mentale est infinie, en assistanat c’est quand même plus gérable. J’adore découvrir des décors incroyables et voyager. Parfois l’équipe est très chouette et on fait de belles rencontres."

Mais entre les faibles budgets, les horaires éprouvants, la hiérarchie stricte des plateaux et le manque de professionnalisme de personnes se sentant protégées par leur notoriété, joindre les deux bouts en conservant sa santé mentale et ses valeurs tient souvent de l’exploit. D’autant plus quand ces valeurs incluent le féminisme, qui hors des cocons façon Kokoro et ses tournages à petit budget, n’est pas (encore) une notion ‘mainstream’ dans l’industrie du ciné. Au contraire. Il suffit d’aller voir les témoignages réguliers sur ‘Paye Ton Tournage’…

"Oui, montrer qu’on défend des lignes féministes, de respect et de bienveillance, ça nous met souvent dans des positions de gens exigeants. La radicalité ça peut aussi effrayer, faire qu’on nous fait moins confiance…" Or pour Roxanne, cinéma et féminisme sont tout à fait conciliables : "Le cinéma permet de démocratiser ces questions. C’est aussi intéressant de rencontrer ces frictions : le but à la fin, c’est de se comprendre."


© Saskia Batugowski
Clip : ‘Forever’de Oklou, réalisé par Roxanne Gaucherand

Le dilemme est là : entre l’appel du ‘mainstream’ ses budgets confortables et son manque d’inclusivité, et la radicalité bienveillante d’une production inclusive souvent minée par le manque de moyens. Comment concilier vie professionnelle et valeurs personnelles ? Comment réussir à se financer sans se trahir ? "Je me pose souvent ce genre de questions aussi. Je crois qu’il faut qu’il y ait du soin quelque part en tout cas. Soit dans ce qu’on dit, soit dans la manière dont on travaille, soit dans comment on rémunère les gens", avance Roxanne.

Mais il n’y a pas de formule magique ou de solution miracle. "Il faut voir au cas par cas. De qui parle-t-on, de quoi a-t-on besoin. Et puis c’est une décision collective avec l’équipe. Après oui, on a une certaine ligne, effectivement on ne va pas travailler pour des ordures (rires). Mais ça dépend d’où chacun-e met la barre aussi…. Y a plein de façons d’être une ordure", rigole Roxane en avalant la dernière bouchée.

PARTIE 3 – Milieu de terrain
On termine le repas en poursuivant cette réflexion partagée sur comment trouver sa place entre le centre et les extrêmes. Entre la partie émergée de l’iceberg ciné, et les luttes souterraines infusées de radicalité. Roxanne coupe la poire en deux avec une métaphore footballistique : "J’ai le privilège de pouvoir arrêter ma colère parfois, parce que j'ai été préservée de beaucoup de choses, donc je peux encore parler au tonton sexiste, être à des endroits de dialogue et de médiation… Je me vois un peu milieu de terrain, en fait. J'admire les gens qui sont de front, et j'aime aussi les gens qui le sont moins. On a besoin de plein de fronts dans les luttes. Donc je ne vais pas me culpabiliser de ne pas être radicale. Quand je le suis trop, je sens que c'est faux par rapport à qui je suis. Je suis très contente de soutenir celles et ceux qui le sont, mais là où je me sens le plus utile, c'est au milieu."

Trouver son rôle dans l’échiquier

"C’est important de trouver ton rôle dans l'échiquier de la lutte, quelles sont tes forces, tes faiblesses, où te sens le plus utile… sinon tu bascules dans la posture - ou l'épuisement militant", abonde Roxanne, qui semble aussi avoir trouvé sa place dans l’échiquier du ciné : "Parfois je me rappelle juste que je suis en train de faire les trucs que j'ai toujours voulu faire. Alors même si c'est frustrant parfois, c'est quand même cool, il faut savoir en profiter. Mon seul but en fait, c'est de devenir rentable, pour moi-même, et pour mon équipe. Le futur qu'on nous propose est tellement fucked up, donc c'est déjà cool de faire des mini trucs qui font sens !"

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Je regarde ma montre et je sursaute : l’heure a tourné, on doit chacune retourner bosser – moi en projection, et elle en préparation d’un nouveau tournage de clip qui débute bientôt. Devant la Bourse avant de se quitter, je lui pose ma traditionnelle dernière question : un film ou série vu récemment qui t’a plu et que tu as envie de conseiller ? "Memoria de Apitchapong Weerasethakul et la série Pen15 de Anna Konkle et Maya Erskine". Un film thaïlandais d’art et essai, et une série basée sur les souvenirs adolescents de lycée. Du pointu, du populaire, et entre les deux, Roxanne pile au milieu.

Les autres épisodes de la série Les Bobines du Cinéma
Épisode 1 : Vania Leturcq et la boite de Pandore
Épisode 2 : Paloma Garcia Martens, aux limites de l’intime
Épisode 3 : Mara Taquin, actrice hors norme
Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.


https://www.rtbf.be/article/les-bobines-du-cinema-roxanne-gaucherand-entre-realites-et-frictions-10979913

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