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La lente féminisation de la bande dessinée,femmes,BD,culture,

30 Décembre 2015, 03:28am

Publié par hugo

La lente féminisation de la bande dessinée


mardi 29 décembre 2015 13:44 par Marina Fabre Laisser un commentaire

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Femmes dans la bande dessinée
© Julie Maroh pour le collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme
En 15 ans, la féminisation des auteur.e.s de BD est passé de 7 à 12,4%. Une amélioration mais le secteur reste toujours très masculin. La faute à une « société patriarcale », mais aussi à la stratégie commerciale des grosses maisons d’édition.








Le nouveau « rapport Ratier », établi par le secrétaire général de l’Association des critiques et journalistes de bande dessiné (ACBD) est clair : la production de bandes dessinées en 2015 dans l’espace francophone européen a baissé de 2,9% par rapport à 2014. C’est la première baisse enregistrée depuis 17 ans. Moins de BD mais des ventes en progression de 3,5% sur les neufs premiers mois de l’année.


Habituellement, dans un secteur aussi masculin que celui de la bande dessinée, une baisse de production s’accompagne d’une baisse du nombre de femmes auteures de BD. Ici, pourtant, la féminisation – certes faible – se maintient. Les femmes représentent 12,4% des 1 399 auteur.e.s européen.ne.s de BD francophones, soit 0,4 points de plus qu’en 2014. En 2001 elles n’en représentaient que 7%. Une féminisation sensible, mais qui part de loin.


« C’est quand la BD est devenue un business de plus en plus lucratif que les femmes (…) ont commencé à disparaître »


La faute, de manière générale, à « une société patriarcale », répond C[h]ris Reyns, chercheur spécialisé dans la bande dessinée. Mais aussi au tournant des années 60. « C’est quand la BD est devenue un business de plus en plus lucratif que les femmes, qui étaient déjà peu nombreuses, mais au moins étaient représentées dans la presse féminine (Suzette, Line…), ont commencé à disparaître des positions décisionnelles et artistiques, c’est-à-dire des positions visibles et lucratives. »


Chantal Montellier, la première femme dessinatrice de presse politique, se souvient. C’est plutôt dans les années 80 qu’elle ressent le changement. « Beaucoup de petites maisons d’édition ont disparu, rachetées par des grosses boîtes comme Hachette. Les choses ont changé, la politique d’édition a changé et les mentalités aussi. Je ne m’y retrouvais plus. La BD s’est embourgeoisée pour une certaine partie, et pour l’autre, majoritaire, elle a été encadrée. On est revenu aux séries, à une BD commerciale, à une certaine forme de mercantilisme dans lequel on baigne encore. »


Mais cette pionnière voit plus généralement une résistance dans le domaine de l’image. Même si la féminisation y est plus importante que dans la BD, au cinéma et à la télévision aussi les femmes sont sous-représentées. « Je pense que quelque chose bloque au niveau de la représentation de l’image. D’ailleurs, les hommes n’aiment pas que les femmes les représentent. Il faut chercher du côté de l’histoire de l’art. Nous sommes dans une société patriarcale, judéo-chrétienne, dans laquelle l’image du corps est essentielle. Les hommes eux mêmes ne jouissent pas d’une liberté phénoménale dans ces représentations. » Historiquement, « les femmes n’avaient pas accès aux écoles d’art jusqu’à la Première Guerre Mondiale », explique Chantal Montellier. « Quand elles ont été autorisées à entrer dans les ateliers, elles n’ont eu accès qu’aux natures mortes et aux portraits, mais pas aux modèles vivants et surtout pas aux nus! Les femmes avaient le droit de poser, de préférence à poil, mais n’avaient pas le droit de dessiner. La femme était le modèle, on n’imaginait pas une femme dessinant d’après un modèle masculin nu. »


Un secteur féminisé grâce à internet ?


Aujourd’hui, les femmes restent sous-représentées dans la BD mais une évolution est à noter. En 15 ans, le nombre de femmes auteures de BD francophone a plus que doublé, passant de 80 en 2001 à 173 aujourd’hui.


Femmes bande dessinée
Chiffres ‘rapport Ratier’ 2015 © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD /



Pourquoi les femmes ont décidé d’investir ce domaine réservé aux hommes? « Il y a au moins trois facteurs », commence C[h]ris Reyns : « l’internet, les mangas shojo et l’émergence du ‘roman graphique’. Ce dernier est plus orienté vers des thèmes, techniques, genres, plus associés aux femmes, comme l’autobiographie par opposition à l’aventure (western, policier, SF, fantasy…), domaine dominé/monopolisé par les hommes. L’exemple qui est le plus marquant est la publication de Persépolis de Marjane Satrapi exactement en 2000. Un deuxième facteur est le rôle des mangas-shojos qui ont commencé à avoir du succès en France en particulier dans les années 1990 ; et donc après une décennie, des filles sont devenues des femmes, artistes et lectrices, et ont commencé à créer un marché féminin (une demande et une offre). Patricia Lyfound en est un exemple. Enfin, l’internet est sans doute le plus fort facteur ; l’internet permet en effet de ne pas devoir passer par les ‘gatekeeper’ comme on dit dans les études sociologiques anglaises, c’est-à-dire les ‘gardiens’ qui contrôlent l’entrée des candidat.e.s dans le monde de la BD aux différents échelons. C’est pourquoi les Bagieu, Motin, Diglee ont pu créer leurs albums après avoir eu du succès sur l’internet ; les éditeurs se sont intéressés à elles ; c’est un phénomène clé pour expliquer la hausse de la participation des femmes dans le monde de la BD ».


Chantal Montellier est d’ailleurs de celles pour qui la BD dite « girly » n’a pas fait progresser la place des femmes dans le dessin, au contraire. « Elle véhicule des choses, qui, de mon point de vue, sont souvent conformistes voire régressives. Il y a un retour d’une BD très intimiste – le rapport mère fille, le rapport aux amis, aux amants – ce qui est un peu réducteur ». Pour celle qui a fait du dessin politique – « pas social, pas sociétal, politique », précise-t-elle – le fossé est effectivement grand.


Valoriser les auteures de BD : le prix Artémisia


Mais alors comment féminiser le secteur ? Contrairement à Catel Muller, que Les Nouvelles NEWS avaient rencontrée le mois dernier, Chantal Montellier n’est pas favorable aux quotas : « Je n’aime pas ce mot, c’est déjà un premier obstacle », ironise-t-elle. « Je ne suis pas sûre qu’il faille faire avancer les choses aux forceps. Je crois plutôt à un travail quasi quotidien des femmes sur ces questions. Occuper le terrain, produire, faire de la création forte, la défendre, l’imposer. Imposer sa voix, créer – sans parler de lobbies – des structures de reconnaissance, comme j’ai essayé de le faire avec Artemisia ».


Créé en 2007, le prix Artémisia récompense chaque année les auteures de bande dessinée. « On s’efforce de mettre en valeur une dizaine voire une vingtaine d’albums faits par des femmes », souligne Chantal Montellier. « Mais on évolue dans l’obscurité, on ne nous aide pas, on ne nous éclaire pas ». La presse est pointée du doigt. Et le bureau de l’ACBD est en cela symbolique : sur 7 membres, 100 % d’hommes. « Il suffit de regarder à Angoulême qui est LA vitrine de la BD française », commentait Catel en novembre, « sur 52 festivals, une seule femme a été présidente. Il y a un problème de proportion, et comme les hommes se cooptent entre eux, c’est très long. »


D’où l’intérêt du prix Artémisia. Une nécessité pour C[h]ris Reyns : « les ‘acteurs-actrices’ de ce monde BD doivent continuer à se mobiliser », et les « interventions universitaires » se multiplier. A cet égard, il espère que Alternative Francophone, le premier numéro spécial d’une revue universitaire sur le sujet, se reproduira. Ces solutions, estime C[h]ris Reyns, sont complémentaires d’une autre : « On doit laisser faire le marché et, comme avec l’internet, il y a des changements positifs qui s’opèrent d’eux-mêmes (…) Mais cela prendra encore un certain temps, et alors la BD sera peut-être déjà marginalisée par les nouvelles technologies de l’image, y compris la BD digitale dont personne ne connaît la forme qu’elle aura dans 10 ans. Ce sera encore une bataille, et pas gagnée d’avance », conlut le chercheur.


En attendant, la mobilisation et la dénonciation grandissent. En septembre dernier, elles étaient 147 professionnelles de la bande dessinée à créer un Collectif contre le sexisme. A l’origine, leur constat : non, la « bande dessinée féminine » n’existe pas, non ce n’est pas un genre narratif et oui, cette appellation est misogyne puisque « la bande dessinée masculine » n’a jamais été attestée ni délimitée. Le but du Collectif était avant tout de promouvoir « une littérature égalitaire en encourageant la diversité des représentations ».


À voir : Créatrice de BD contre le sexisme : non la bande dessinée féminine n’existe pas





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