Des classes préparatoires et des grandes écoles toujours aussi fermées,societe,
Des classes préparatoires et des grandes écoles toujours aussi fermées
12 avril 2017 - Deux tiers d’enfants de cadres supérieurs à Polytechnique contre 1 % d’ouvriers. La part des enfants issus de milieux populaires est bien mince dans les classes préparatoires et dans les grandes écoles de l’enseignement supérieur qui pourtant disposent de moyens énormes.
Cinquante fois plus d’enfants de cadres que d’enfants d’ouvriers à Polytechnique. Vingt fois plus dans les Ecoles normales supérieures. La composition sociale des filières les plus sélectives de l’enseignement supérieur, et les mieux dotées en moyens, reste très homogène : les enfants de cadres représentent au moins la moitié des élèves alors qu’ils constituent à peine un quart de l’ensemble des jeunes. Dès les classes préparatoires aux grandes écoles, les catégories les moins favorisées sont quasiment absentes : on y compte 6 % d’enfants d’ouvriers, 10 % d’employés, contre près de 50 % d’enfants de cadres. Tout naturellement, ce déséquilibre se retrouve ensuite, et il est même amplifié quand on s’élève dans l’élite scolaire. L’Ena accueille 4 % de fils d’ouvriers et d’employés alors que 69 % de ses élèves sont issus de familles de cadres supérieurs, de professions libérales et d’enseignants. Inversement, les écoles d’ingénieurs sont légèrement moins élitistes (46 % de cadres supérieurs) parce qu’on y rassemble des écoles ultra-sélectives et certaines qui le sont moins.
L’élitisme social des filières dites d’excellence ne date pas d’hier. Il y a presque vingt ans, les enfants de cadres supérieurs et de professions intellectuelles représentaient plus de la moitié des classes préparatoires aux grandes écoles. Comme c’est encore le cas aujourd’hui, ils étaient huit fois plus nombreux que les enfants d’ouvriers et cinq fois plus que ceux d’employés. La part de ces deux dernières catégories, les plus populaires, qui représentent 40 % des jeunes, n’a pas changé depuis la fin des années 1990. On retrouve la même situation à l’Ena. Les enfants de cadres supérieurs sont surreprésentés par rapport à ceux d’ouvriers et d’employés. Les premiers sont en moyenne douze fois plus présents que les seconds, alors que, dans la population active, ce rapport est inversé.
Pour répondre à cet élitisme social, certaines grandes écoles ont ouvert des filières spéciales (souvent dites « égalité des chances ») qui devaient permettre d’intégrer quelques élèves issus d’établissements moins favorisés. Elles n’ont eu aucun impact au niveau global et servent surtout d’outil de communication. Désormais, ces dernières mettent l’accent sur l’augmentation de la part d’élèves boursiers. Autre paravent : une partie de ces boursiers appartiennent aux classes moyennes et disposent de bourses de très faible niveau. Sciences po Paris par exemple met en avant ses 30 % d’étudiants boursiers alors qu’on n’y compte en réalité que 11 % d’élèves d’origine populaire [1].
La faible représentation des enfants de milieux populaires est choquante et très ancienne : les filières d’excellence n’ont jamais recruté en masse parmi le bas de l’échelle sociale. Il faut noter d’ailleurs que le public des masters à l’université n’est guère différent [2]. L’hypocrisie actuelle sur « l’ouverture sociale » est à peu près totale : les catégories les plus favorisées disposent de filières spécifiques, taillées sur mesure et dotées en moyens sans rapport avec celles dont les enfants vont à l’université.
Origine sociale des élèves des classes préparatoires et des grandes écoles de l'enseignement supérieur
Unité : %
Agric., artis., commerç. et chefs d'entr.
Cadres sup.
Prof. interm.
Employés
Ouvriers
Retraités et inactifs
Non rens.
Ensemble
Part d'enf. de cadres/part d'enf. d'ouvriers
Ecole Polytechnique * 6,9 63,7 10,5 5,6 1,3 nd 12,0 100 49,0
Écoles normales supérieures 12,1 53,2 12,3 6,7 2,7 4,8 8,1 100 19,7
Ena ** 9,4 68,8 8,7 4,5 4,4 4,3*** nd 100 15,6
Ecoles d'ingénieurs 11,5 46,5 11,7 7,5 6,0 7,4 9,3 100 7,8
Classes prépas 10,6 49,5 12,0 10,1 6,4 6,4 5,1 100 7,7
Ensemble des 18 à 23 ans 13,1 17,5 17,7 8,9 29,2 6,8 6,8 100 0,6
France métropolitaine et Dom. * Élèves de première année, données 2003-2013. ** Tous concours confondus, catégorie socioprofessionnelle du père, données 2015. *** Inactifs, chômeurs et non renseignés.
Source : ministère de l'Education nationale, Ena-Cera, Cour des comptes, Sénat - Données 2014-2015 - © Observatoire des inégalités
Evolution des origines sociales des élèves des classes prépas
Unité : %
Agric.
Artis, commerc, chefs entrep
Cadres, profess. intellectuelles sup.
Profess. interm.
Employés
Ouvriers
Retraités, inactifs
Non renseigné
Ensemble
1999-2000 2,0 7,0 52,0 16,0 9,0 6,0 7,0 2,0 100,0
2000-2001 2,0 7,2 51,4 15,0 8,8 5,4 6,9 3,3 100,0
2004-2005 2,1 7,6 52,3 14,5 8,7 5,1 6,4 3,4 100,0
2009-2010 10,8 * 51,1 12,9 9,3 6,3 6,4 3,2 100,0
2014-2015 10,6 49,5 12,0 10,1 6,4 6,4 5,1 100,0
* A partir de 2009-2010, les agriculteurs dont le pourcentage est de l'ordre de 2 %, sont regroupés avec les artisans, les commerçants et les chefs d'entreprise.
Source : ministère de l'Education nationale - © Observatoire des inégalités
Evolution des origines sociales des élèves de l'Ena
Unité : %
1947 à 1954
Pop. act. 1954
1955 à 1962
Pop. act. 1962
1963 à 1969
Pop. act. 1968
1970 à 1975
Pop. act. 1975
1978 à 1982
Pop. act. 1982
1987 à 1996
Pop. act. en 1990
2008 à 2012
Pop. act. en 2009
Agric. 4,3 20,0 2,6 16,0 5,6 12,0 3,6 8,0 2,6 6,0 2,4 4,5 1,2 2,0
Art. et commerç. 9,3 12,0 6,3 11,0 6,4 10,0 5,9 9,0 9,7 7,0 3,6 7,1 2,6 5,7
Industriels 9,7 1,0 7,0 1,0 7,0 1,0 6,8 1,0 1,2 1,0 4,4 0,8 1,6 0,6
Prof. libé. 8,2 1,0 6,8 1,0 13,2 1,0 11,4 1,0 11,3 1,0 12,4 2,1 18,2 2,5
Cadres sup. 24,3 3,0 32,1 4,0 33,8 5,0 37,2 6,0 53,9 7,0 52,0 9,6 49,7 14,0
Prof. Interm. 27,0 6,0 27,8 8,0 20,6 10,0 19,7 14,0 15,5 17,0 11,5 20,0 12,2 24,3
Employés 15,3 11,0 12,4 12,0 10,7 15,0 9,7 17,0 3,0 27,0 8,2 26,5 11,0 29,4
Ouvriers 1,9 40,0 4,9 41,0 2,8 41,0 5,6 39,0 2,8 33,0 5,5 29,4 3,5 21,5
Total 100 94 100 94 100 95 100 95 100 99 100 100 100 100
Source : Ena, Insee - © Observatoire des inégalités
Pour vivre heureux, vivons cachés ?
Nous ne publions pas les données pour les écoles de commerce, pour une raison simple : pour près d’un tiers des élèves, la situation des parents est « non renseignée ». Les données n’ont donc plus de sens. De plus, les données présentées incluent un ensemble « retraités » qui n’est pas une catégorie sociale en soi : on peut être retraité cadre supérieur, comme retraité ouvrier. Très peu d’écoles publient d’ailleurs des données détaillées et fiables, ce qui leur permet de masquer la situation réelle.
Photo : © yanlev - Fotolia.com
Notes
[1] « Politique « d’ouverture sociale », ségrégation et inégalités urbaines : le cas de Sciences Po en Île de France », Marco Oberti, Sociologie, 3/2013 (Vol. 4).
[2] Lire Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur.
Date de rédaction le 8 juin 2012
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Des classes préparatoires et des grandes écoles toujours aussi fermées
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