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Cher Nicolas Bedos, il y a une révolte des femmes, et vous faites partie de ceux qui ne veulent pas voir les choses bouger
La tribune publiée par Nicolas Bedos sur la libération de la parole qui vire, selon lui, à la guerre des sexes, m’a passablement énervée.
06/11/2017 12:18 CET | Actualisé 06/11/2017 12:57 CET
AFP
Cher Nicolas Bedos, il y a une révolte des femmes, et vous faites partie de ceux qui ne veulent pas voir les choses bouger.
La tribune publiée par Nicolas Bedos dans Le HuffPost, sur la libération de la parole qui vire, selon lui, à la guerre des sexes, m'a passablement énervée. D'autant plus qu'elle a été partagée par des gens que j'estime, alors qu'elle reste pour moi le reflet d'une misogynie bien ancrée et qui refuse de dire son nom. Je me suis donc accordé un droit de réponse.
Cher Nicolas Bedos,
Vers l'âge de 12 ans, j'apprends qu'un de mes cousins, un adulte, avait commis des attouchements sur une de mes cousines de 8 ans. Peu de temps auparavant, il avait tenté de violer une autre de mes cousines qui en avait fait part à ses parents. Tout le monde savait.
Quand j'étais étudiante, j'apprends que mes amies à Sciences Po qui avaient DSK comme professeur, demandaient à leurs copines d'attendre devant la porte lorsqu'elles avaient à passer un oral avec lui, de peur de se retrouver dans une situation "délicate". J'ai raconté cette histoire devant des adultes, des journalistes, des professeurs et les réactions n'ont été que rires et blagues graveleuses. Tout le monde savait.
Il y a quelques temps, je me suis fait agresser en boîte de nuit par un type que je connaissais vaguement. Le serveur d'un café qui me draguait et dont j'ai toujours repoussé les avances. En racontant l'histoire à des gens qui le connaissent, je me suis aperçue qu'il n'en était pas à son premier fait d'armes. Tout le monde savait.
Pour tous les cas que je viens de citer, des gouttes d'eau dans un océan de plaintes étouffées, "un seul nom suffisait". Ce nom que l'on vous demande de balancer aujourd'hui, certes bêtement, est celui que l'on s'échange sous le manteau depuis des années. Celui qui a pu faire rire sous cape. Celui qui a pu devenir un mythe ("Je vais te faire une Baupin", "Je suis le DSK de France 2"). Et pourquoi on vous le demande Nicolas? Parce que jusque ici, ce type-là est resté impuni alors que tout le monde savait. Jusqu'ici c'étaient mes cousines, les étudiantes de Sciences Po, ou moi-même qui devions avoir honte de nos agressions.
Je pense d'ailleurs que tout cela vous le savez pertinemment, comme la différence entre la drague lourde et le harcèlement, je ne vais pas vous faire l'affront de vous donner un cours sur la notion de consentement. D'ailleurs, je prendrai comme un jeu rhétorique de votre part le fait que vous compariez un violeur à un homme infidèle ou à un radin. Vous-même, je pense, vous choisiriez sans hésiter l'option "mon radin de patron a refusé de m'augmenter" plutôt que "mon violeur de patron m'a sodomisé de force".
Par contre ne me demandez pas de "comprendre votre colère". Je la trouve déplacée. Vous avez l'impression, en tant qu'homme, d'être devenu un gibier? Mais n'est-ce pas cela, entre autres, qui révolte les femmes? D'avoir le sentiment d'être traquée en permanence?
Et que cela soit clair, je n'ai pas choisi les exemples ci-dessus pour remettre en cause le fait que DSK soit un économiste brillant, que j'ai de bons souvenirs d'enfance avec mon cousin, ou que le serveur qui m'a agressée soit le roi des Frozen Margaritas. Comme je ne remets pas en cause le fait que les films de Woody Allen, Roman Polanski, Kevin Spacey ou produits par Harvey Weinstein puissent être remarquables. J'ai été fan du "Cosby show" comme de la musique de Michael Jackson ou de Noir Désir. D'ailleurs, Emile Louis était sûrement un formidable chauffeur de bus et peut-être dans un autre contexte, j'aurais pu prendre un café avec Guy Georges et trouver le mec super sympa.
La question de séparer l'homme de l'œuvre ou même "la bête", "le porc", puisqu'on l'a nommé ainsi, de l'être humain (du voisin, du copain, du père, du fils, du cousin), pose question et cela personne ne peut le nier. C'est philosophiquement et humainement un débat à avoir. Mais a-t-on pour autant besoin de le porter aux nues? Qu'un homme qui a tué sa femme à coups de poing fasse la une des magazines? Qu'un organisme public rende hommage à un homme accusé de plusieurs viols et qui fuit la justice depuis des années? Est-ce cela pour vous un monde libre? Un monde où le talent, le pouvoir et l'argent excusent tout? Où les coupables n'ont pas honte? Où l'on dit aux victimes encore une fois de se taire car leur parole ne vaut rien contre la leur? Mais surtout, est-ce vraiment cela sur quoi porte le débat aujourd'hui?
Et si vous (re)lisiez King Kong théorie de Virginie Despentes? Ou Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir? Et si vous creusiez un peu plus les pensées de Françoise Héritier, Marguerite Duras ou Geneviève Fraisse? (pardon, vous n'avez cité QUE des hommes, je me permets de ne citer QUE des femmes). Vous comprendriez sûrement que ce qui se passe aujourd'hui n'est pas "une chasse aux sorcières au nom du progrès moral". Et que derrière ce #, ce n'est pas seulement un ras-le-bol qui s'exprime, mais la remise en cause d'un système où se construisent et se perpétuent inégalités et stéréotypes. Un système tellement ancré en nous, hommes comme femmes, qu'il nous a amené à considérer que la violence envers la moitié de l'humanité était naturelle, puisque jusqu'ici personne n'a rien fait.
Et lorsque l'on vous demande si vous connaissez des gens autour de vous qui auraient pu avoir ce genre de comportement, n'est-ce pas beaucoup plus facile de prendre la plume pour dénoncer les dérives totalitaires d'une "dénonciation arbitraire", que de se poser les vraies questions: "Ai-je moi aussi un jour été un "porc"? "Ai-je, même sans m'en apercevoir, dépassé la limite? Ai-je laissé passer des comportements inacceptables qui se sont déroulés sous mes yeux, par peur, lâcheté, ignorance? Et la réponse est oui, Nicolas, vous l'avez fait. Je l'ai fait aussi. Nous l'avons tous fait. Cette déferlante vous gêne et tant mieux, car elle vous remet et nous remet tous en question.
Et puis, n'avez-vous pas un peu l'impression que sous couvert de fustiger la pensée unique, vous en êtes en fait le parfait représentant: le mâle alpha blanc. Celui qui occupe la place dans les médias, à l'assemblée, dans les postes à responsabilité et les conseils d'administration, celui qui a, par définition, le pouvoir et la parole. Celui qui n'a pas besoin de quota, de manifs ou de # pendémique pour être écouté. Parce que, si vous approuvez le fait qu'enfin les voix des femmes s'élèvent, pourquoi mettre un bémol en parlant au-dessus d'elles? Si vous souhaitez réellement que les femmes de votre entourage n'aient plus à subir et que cette parole libérée permette enfin de changer les choses, pourquoi déplacer (et accaparer) le débat?
Dans un couple "tout sauf le silence dites-vous"? Mais vous n'êtes pas en couple avec la moitié de l'humanité que je sache? Et même si je suivais votre raisonnement jusqu'au bout, si votre femme vous apprend qu'elle a été agressée par le facteur, allez-vous lui couper la parole pour lui rétorquer: "je comprends chérie, mais il va d'abord falloir laisser faire la justice avant de prévenir les voisins et qu'il arrête de venir livrer le courrier chez nous... et puis on ne peut pas lui retirer que c'est un bon facteur, il monte les Chronoposts jusqu'au 6ème...».
Pensez-vous, Nicolas, qu'il serait possible qu'un homme, juste pendant un moment, n'ait rien à dire, juste à écouter? Rien à ajouter si ce n'est tenter de comprendre quelque chose qui le dépasse? Rien à faire, si ce n'est son examen de conscience?
Il n'y a pas à proprement parler de guerre des sexes. Mais oui, il y a bien une révolte et comme dans toute révolte qui se respecte, il y a ceux, dont vous faites partie, ainsi que "vos amis avec qui vous discutez en privé", bien accrochés à leurs acquis qui ne veulent pas voir les choses bouger. Ceux qui en critiquent le sens, les méthodes, qui tentent de diviser ("toutes les femmes ne pensent pas cela voyons..."). Ceux qui sous couvert de s'interroger, sont juste terrifiés à l'idée que le monde qui arrive "soit moins profitable". Moins profitable à qui? À eux... et à eux seulement.
Lire aussi :
http://www.huffingtonpost.fr/lea-domenach/cher-nicolas-bedos-il-y-a-une-revolte-des-femmes-et-vous-faites-partie-de-ceux-qui-ne-veulent-pas-voir-les-choses-bouger_a_23267834/